Un bout de chemin avec Jacques Lacarrière

Le chemin de Jacques Lacarrière a croisé celui de la Bibliothèque municipale pour la première fois à l’occasion des manifestations organisées en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution.

Laurent Loty, jeune universitaire, nous proposait une conférence sur le thème Nature, Science, Histoire et Utopie à la fin du XVIIIe siècle. Il évoquait les écrivains du XVIIIe siècle, dont Rétif de la Bretonne, auteur d’une utopie remarquable mais un peu oubliée, La Découverte australe. Jacques Lacarrière avait donné une préface à ce texte pour les éditions France Adel ; nous l’avons donc tout naturellement sollicité pour participer à cette soirée.

 Sacy avait bien évidemment rapproché Jacques de Rétif. Si c’est autour de Rétif que nous avons rencontré Jacques, c’est malheureusement autour de Rétif que nous l’avons quitté. En effet en 2006, pour le deuxième centenaire de la mort de Rétif, la ville d’Auxerre avait organisé un hommage à cet auteur injustement oublié et la bibliothèque avait demandé à Jacques une collaboration pour le catalogue de l’exposition. Il devait aussi lire des extraits de ce texte atypique, foisonnant, un peu délirant. Il se voyait homme-taureau, accompagné de Sylvia Lipa-Lacarrière et de Christian Peythieu, mi-humains, mi-animaux, eux aussi, reformant la troupe si joyeuse du soir de la représentation du 18 mai 1989… Je regrette beaucoup que cette participation ait manqué à la réussite de notre projet.

Nous avons travaillé à maintes reprises avec Jacques et Sylvia lors de nos Salons du livre de jeunesse, découvrant ainsi les ouvrages pour enfants de Jacques, pour des lectures, pour des rencontres qui furent des moments inoubliables, avec Luis Mizon et Jean Malaurie notamment.

Enfin, il y a quatre ans, nous avions organisé un hommage à Jacques Lacarrière et à son oeuvre : exposition, lectures, rencontres que le public suivit avec chaleur pendant 15 jours. Je me souviens alors de sa disponibilité à nous accompagner dans les maisons de quartier où nous rencontrions un bien maigre public, ce qui ne semblait pas le décourager.

Pour nous souvenir de lui, quel meilleur moyen que d’associer son nom à notre bibliothèque ? Le texte de Jacques Lacarrière qui accueillera le public à son entrée dans la bibliothèque sera pour chaque lecteur l’occasion de se rappeler que lire est toujours un moment de plaisir, mais aussi de culture et surtout de partage.

 Françoise Duvernier, conservateur de la Bibliothèque Municipale d’Auxerre

Texte écrit à l’occasion de l’inauguration de la Bibliothèque Municipale d’Auxerre.

Éloge du bon à rien

 Luis Mizon, extrait du Bulletin de I’Association des Amis de la Bibliothèque Municipale d’Auxerre numéro 8 — Octobre 2008.

Quelques jours avant sa mort, Jacques Lacarrière m’avait adressé une petite missive.

Je l’avais invité à faire partie de notre « Confluences Poétiques » qui réunit, depuis peu, des auteurs d’origines étrangères et des Français de culture ouverte, comme lui, pour faire œuvre commune imitant, à notre façon, les méandres des fleuves ou plutôt des ruisseaux plus au moins tranquilles qui cherchent à mêler leurs eaux.
Nous avions dîné chez un ami pour proposer la création d’une revue capable d’exprimer l’idée et le besoin d’une confluence culturelle dont l’élément communicant serait la poésie.
Cette revue est maintenant réalité.                 
Le texte que Jacques m’avait envoyé résumait très bien l’idée fondatrice de notre association mais aussi son propre itinéraire intellectuel.

Paris mercredi 20, 8h 30

Cher Luis,
Je retrouve ce texte*, égaré dans des pages retrouvées.
J’avais envie de te l’envoyer. Voilà.
*Que j’ai dû écrire il y a assez longtemps.

« Or, pour moi, la culture, c’est tout ce qui refuse les similitudes, l’immobilisme des racines, les miroirs de la mémoire close, tout ce qui refuse ou écarte le semblable ou le similaire pour rechercher ce qui est différent, ce qui est dissemblable. Être cultivé aujourd’hui, ce n’est pas lire Tacite ou Homère dans le texte (ça, c’est de l’érudition), ce n’est pas non plus connaître par cœur les composantes chimiques du sol de Mars ou de Saturne, c’est simplement admettre jusqu’en sa propre création la culture des autres, c’est même au besoin se mêler à elle et la mêler en soi.
Être cultivé aujourd’hui, c’est porter en soi, à sa mort, des mondes plus nombreux que ceux de sa naissance.
C’est s’enrichir et s’agrandir en se tissant, se métissant de la culture des autres »
Jacques Lacarrière

Ce texte est précieux parce qu’il nous montre une pratique de l’esprit une manière de vivre la culture ouverte et de réaliser une action conséquente dans le monde qui nous entoure.
Il exprime une réflexion mûrie au cours de ses voyages, il explique bien son affinité avec Lawrence Durrell, dont le vécu et l’œuvre indissociables partagent la même idée.
Il explique peut-être aussi l’affinité qui existait entre nous, ses amis, le lien qui nous unissait à lui et qui subsiste entre nous.
Il montre toute la différence qu’il y a entre la notion d’être témoin de la culture de l’autre et la notion d’être engagé dans la culture de l’autre.
Il précise aussi la forme de l’engagement sans cacher ses risques.
Les deux notions ne sont pas forcément contradictoires. Le témoin admire, et juge à sa manière la présence de l’autre. Il est sensible à la variété et à la richesse d’une culture créée et développée par des hommes comme lui. Mais le contact s’arrête là.
On peut voyager ainsi, il est parfois indispensable de le faire en tant que bon témoin. 
Nous sommes alors les grands ou les petits reporters de l’autre.
L’engagement vrai va plus loin, vers un vécu créateur.
Il propose une alchimie, une expérience, une conversion de l’esprit, avant d’être une conviction.
Il se présente comme une séduction mutuelle.
Les deux notions sont également présentes dans l’histoire. L’Europe n’existerait pas sans des hommes engagés à vivre l’aventure d’un métissage fondé sur la séduction mutuelle des dieux grecs et sémites. A nous de poursuivre, nous avons du pain sur la planche.
Bien que l’expérience de la culture d’autrui soit un commerce sur la base de l’inattendu, de la découverte, du détail, employant un mot cher à Jacques, par la présence de minuscule. L’engagement est d’abord basé sur une exigence face à l’autre.
Il n’y a rien de moral dans cette démarche, il n’y a pas d’obligation éthique, il n’y a pas, non plus, une reconnaissance théorique quelconque de la rationalité de l’autre tel qu’elle a été discutée au XVIsiècle lors des débats de Valladolid entre Gines de Sepulveda et le père Bartolomé de Las Casas.
Je pense que, heureusement, cette étape est franchie et la légalité théorique acquise. Le monde accepte le caractère humain des toutes les races, de tous les « Indiens », mais à la place de la reconnaissance rationnelle il y a une autre reconnaissance à gagner, fondée sur un instinct animal de la beauté de l’autre, de son parcours créateur, cet instinct animal à la forme d’un respect pour l’altérité d’où se dégage un sens religieux des rapports humains.

Une reconnaissance religieuse, oui, non pas de la valeur mais de la fragilité de l’humain et de sa capacité de s’épanouir par la diversité de la création en gardant l’unité de la racine et du sens.

Cette reconnaissance religieuse est une sorte de compassion, de partage de la passion, qui donne aux artistes et surtout aux poètes la parole de la reconnaissance, le privilège d’un contact intime avec des inconnus dont l’origine est diverse et en dernière instance perdue. La parole et l’écoute de l’autre sont la poésie.
Le respect religieux, la reconnaissance sensible et poétique de l’autre et de sa culture se trouve aux antipodes de toute complaisance culturelle.
Jacques était extrêmement critique envers la mesquinerie culturelle de l’autre et je me rappelle bien l’avoir entendu exprimer son dégoût face à l’exploitation industrielle de l’exotisme fait par « l’autre ».
Cette notion d’ « autre », qu’on s’y arrête.
Je suis allé à l’île de Pâques à dix-huit ans, alors qu’il n’y existait pas encore d’aéroport, ni de port habilité. Pour s’y rendre il n’y avait qu’un bateau de la marine chilienne qui faisait le voyage une fois par an.
Là-bas, j’ai vécu une expérience religieuse et poétique qui est bien loin de celle du simple témoin ou de celle de quelqu’un qui s’engage pour des raisons uniquement morales.
L’expérience de l’autre que nous sommes.
Nous avions parlé de cela, Jacques et moi, et nous avions raconté à Gil Jouanard notre projet ensemble une sorte de contrepoint entre l’île de Pâques et Pompéi ; lieux de vies ensevelies, imprégnés de voix et de fantômes. Depuis il aimait, en riant, me présenter comme un vrai « Pasquan ».
Je me rappelle que dans mon expérience de « l’autre » sur l’île de Pâques, il fallait se glisser entre plusieurs propositions, plus ou moins conscientes et disponibles, il fallait fuir les demandes d’une identité trop déterminée et fuir aussi une manière trop claire d’être soi-même.
Il fallait refuser d’être un commerçant, un témoin, un secouriste, un médecin sans frontières, un missionnaire, un scientifique pour arriver à ce rien, à être un bon à rien et présenter dans le sien la surface de contact nécessaire au rapport poétique engagé. Un contact profond entre le rien que nous sommes et le rien de l’autre.
A l’île de Pâques j’ai appris l’existence de ce lien et j’ai découvert qu’il était lié à la vocation poétique, à une loyauté envers ‘l’homme et ses contes, comme ces écrits sur bois de flottement, les rongo-rongo, restés indéchiffrables à l’île des géants amnésiques ou les graffitis mutilés sur les murs ensevelis de Pompéi.

Textes écrits à l’occasion de l’inauguration de la Bibliothèque Municipale d’Auxerre.

Articles divers

Textes divers, hors la Grèce

La Loi Naturelle, Robert ArdreyLa Quinzaine Littéraire1971
Le Message des aromates, Marcel Détienne1972
Des villages de toile dont on ne parle jamaisLe Matin1977
Chypre l’île mutiléeLe Monde d’aujourd’hui1980
Les mystères de DublinLe Monde1987
Heureux comme Bouddha en BourgogneLe Monde Loisirs1984
Restif de la BretonneL’Yonne Républicaine1984
Lumineusement gnostiqueLe Magazine Littéraire1985
Par-delà la mer de ténèbresLe Nouvel Observateur1987
Jean Bottéro, aux sources de notre culture1989
Un Parisien à la CampagneLe Magazine Littéraire1996
Merveilles soufiesLe Monde1997
Parise, souvenirs encombrants de la GuadeloupeLe Magazine Littéraire1997
Texte pour l’exposition 14 céramistes contemporains1997
Chant des Cimes, Nicolas BouvierLe Monde des Livres1998
Gurdjieff Anatomie d’un mythe, James MooreLa Magazine Littéraire1999
Marie-José Lamothe sur les chemins du TibetRevue Question de1999
Le bâton d’EuclideLe Monde des Livres2002
L’Homme de Feu, Francesca Yvonne Caroutch2003
Nicolas Bouvier et les chants du mondeLe Monde2004

Articles sur la Grèce depuis 1974

Des mots de soleilApproches1974
La Grèce hors les liensLe Monde1974
Le Grec courantLe Figaro Littéraire1976
A propos de GrécitéL’Hommage à Ritsos1976
Grèce, les tortionnaires pourront recommencerLe Matin1977
Chemins Grecs MetsovoLe Monde1977
Qui a encore peur de la Révolution Grecque ?Les Nouvelles Littéraires1977
Comme un feu mêlé d’aromatesLa Quinzaine Littéraire1979
L’arc-en-ciel ElytisL’Express1979
Des heures mythiques aux cris quotidiensLe Monde des Livres1980
Le troublant miroir d’HérodoteLe Monde1980
Le printemps d’AthènesLe Monde des Livres1982
Odysseus ElytisLe Monde1983
Angelos Sikelianos et l’idée Delphique1984
La Grèce Moderne et ses rapports avec l’AntiquitéLe Monde des Livres1984
Un homme de paroleLe Nouvel Observateur1884
Aris AlexandrouRevue Jungle1985
La vie extraordinaire de Léon l’AfricainLe Monde1986
La Grande IdéeAutrement Istambul1988
La blancheur nocturne de la GrèceLe Magazine Littéraire1988
Costas Taktsis, le non-orthodoxeLe Monde1988
A propos de SeferisTo Vima1990
Le bandit, le prophète et le mécréantRevue Cemoti1990
Ecrivains et poètes de ThessaloniqueLe Nouvel Observateur1990
Un sanctuaire des morts en EpireNouvelles Clés
Le Vertige d’HérodoteLe Nouvel Observateur1997
Ilias PetropoulosLe Monde2003

Articles sur la Grèce de 1963 à 1973

Chemins faisant fêtant ses 10 ans cette année, nous présentons sur notre site un ensemble d’articles de Jacques Lacarrière sur la Grèce de 1963 à 1973.
Ces textes ont été saisis par Elisabeth Copin et Max Angot, compagnons de Chemins faisant

Le Poète grec Georges Seferis reçoit le prix Nobel de Littérarure   Le Monde   25 octobre 1963 
Séféris, Homère 1963Les Nouvelles Littéraires31 octobre 1963
Aristophane, Eschyle et les colonels   Le Nouvel Observateur   2 août 1967 
Un jeune écrivain grec VASSILI VASSILIKOS   Le Monde   22 novembre 1967 
Un poète grec emprisonné Yannis Ritsos   Le Monde   27 décembre 1967 
Heur et malheur du jeune roman grec   Le Monde   23 novembre 1968 
Yannis Ritsos   La Quinzaine littéraire   Novembre 1968 
La Grèce antique sans oripeauxLe Nouvel ObservateurDécembre 1968
La barbarie et les fantômes de l’Histoire   Le Monde   17 mai 1969 
Les guerilleros des montagnes   Le Monde   18 avril 1970 
Histoire   Le Nouvel Observateur   27 avril 1970 
Makriyannis où l’impossible liberté   Les Lettres Françaises   24 mars 1971 
Les Prisons du Soleil      Le Nouvel Observateur   1971 
Dans les Remous de l’Histoire   La Quinzaine littéraire   1er janvier 1972 
Nikos Kazantzakin sur les traces d’Ulysse   Le Monde   28 janvier 1972
Mikis Théodorakis1973