Rencontre avec Michaël Ferrier

Eloïse Vial, Michaël Ferrier, Valérie Marin La Meslée

Rencontre avec le lauréat du prix littéraire Jacques Lacarrière à l’Institut du monde arabe

 Le 13 novembre 2021, la directrice de la bibliothèque de l’IMA, Jalila Bouhalfaya, comme elle le fit en décembre 2018, pour la remise du premier prix littéraire Jacques Lacarrière à Jean-Luc Raharimana, a accueilli le lauréat 2020, entouré d’Eloïse Vial archéologue, responsable de l’action culturelle à Bibracte, Valérie Marin La Meslée, présidente du jury du prix, Sylvia Lipa-Lacarrière et Elie Guillou, membres.

Le moment était venu enfin de se voir « en vrai » autour de son livre Scrabble paru aux éditions Mercure de France dans la collection Traits et portraits de Colette Fellous, finaliste de notre sélection avec son très beau Kyoto song, chez Gallimard.

Les autres finalistes étaient : Hélène GaudyUn monde sans rivage (Actes Sud), et Jean-Paul MariEn dérivant avec Ulysse (J.-C. Lattès). 
Les débats de notre jury par zoom le lundi 14 décembre 2020, jusqu’à et y compris l’élection de Michaël Ferrier s’étaient encore tenus sous la toujours joyeuse, érudite et amicale présidence de Gil Jouanard, écrivain, homme-orchestre de la vie littéraire et compagnon, s’il en fut, de Jacques Lacarrière.
Gil nous a quitté le 25 mars dernier et nous lui avons dédié cette soirée.

En ouverture, les mots de Gil, cités par Valérie Marin La Meslée, pour la première remise du prix.

« Jacques Lacarrière échappe à la notion de genre comme à celle de catégorie et même de thème favori »
« Après avoir été un lecteur passionnément éclectique (…), il est devenu à son tour un prodigieux écrivain battant pavillon cosmopolite et spécialiste de tous les genres réunis, sautant de l’un à l’autre avec une maestria probablement sans égale dans notre littérature. Poète et conteur, penseur et espiègle, érudit et improvisateur. Tout comme il fut, dans sa vie, contemplatif et actif, marcheur de plein vent et méticuleux scrutateur de son intériorité et de sa mémoire. Lyrique, puis hardi explorateur ou scrupuleux spéléologue des labyrinthes de la nature humaine. Historien et entomologiste, marcheur de fond et flâneur de proximité. Quêteur de traces du sacré spirituel et terrestre, toutefois jamais affilié à une religion ou à une idéologie, libre penseur faisant son Dieu de toute la nature.
Il fut aussi l’ami simultané de Grecs et de Turcs, d’Israéliens et de Palestiniens, Carnute burgondisé, mais aussi gnostique et agnostique, moine du mont Athos et Bogomile post-mazdéen. Physiquement, spirituellement et mentalement, il était ici, quand on le croyait là ; on pensait l’y avoir rejoint, voilà qu’il était encore ailleurs. Comme s’il avait cherché à débusquer la pierre philosophale ou à résoudre l’énigme de la quadrature du cercle. »
Et à propos du prix : il s’agit donc de désigner un lauréat qui réponde en partie à ce portrait car, poursuit Gil « Il aurait été utopique de chercher à dénicher l’oiseau rare, ou plutôt le cas d’espèce qui eût été à la fois insecte sous l’écorce et Jason argonaute, ascète et gourmand, aventurier et ermite, lyrique et humoriste, conteur et philosophe, naturel et sophistiqué. »

Accueil de Michaël Ferrier, arrivant du Japon, et c’est enfin le moment venu de lui remettre ce prix à Paris après son petit séjour de découverte à Bibracte cet été.
Nous ne quittons pas vraiment le Japon où notre auteur enseigne la littérature française à Tokyo, et auquel nous renvoie son dernier livre Dans l’œil du désastreCréer avec Fukushima publié par Thierry Marchaisse qui fait suite à son livre intitulé Fukushima aux éditions Gallimard.

Mais nous voici très vite au Tchad puisque Scrabble, qui lui a valu le prix, raconte son enfance tchadienne. 
Avec la flûte de Sophie Charpentier, interprétant le morceau de Vivaldi choisi par François Truffaut pour « l’Enfant sauvage », Sylvia Lacarrière, Elie Guillou liront tour à tour un peu de Jacques Lacarrière et un peu de Michaël Ferrier, chacun sous leur arbre, pour entendre l’évidence qui nous a fait choisir notre lauréat 2020.
Si le tilleul de Jacques fut son « premier maître », c’est dans le feuillage de son arbre que Michaël « priT langue avec les bêtes et avec la terre ».
Quand Michaël, en narrateur, nous dit : « j’ai pris la bonne habitude de vivre avec les multitudes », il fait écho à Jacques Lacarrière qui écrivait :  Être cultivé aujourd’hui, c’est porter en soi, à sa mort, des mondes plus nombreux que ceux de sa naissance. Être cultivé aujourd’hui, c’est être tissé, métissé par la culture des autres

La lecture suivante, par Catherine Ferran, des pages sur la guerre au Tchad, bouleverse toute l’assemblée.

Le premier lauréat du prix, Raharimanana (retenu par son festival des Plumes d’Afrique à Tours),était avec nous par les échos de ses séjours à Bibracte, où il a réalisé une installation (à voir sur le site), et écrit le recueil de poèmes La Voix, Le Loin :  lectures d’extraits par sa compatriote Ihoby Rabarijohn et Eloïse Vial.

Au Final, avant l’affluence autour de la table de signature, Sylvia Lacarrière accompagnée de Sophie Charpentier à la flûte, a lu ces merveilleuses pages de Scrabble :

… Le Scrabble : une autre façon de régler les conflits, intelligente, inventive, apaisée. Des batailles de mots sur un plateau tournant. Et un juge de paix : le dictionnaire.

Tout autour, seules les armes parlent.

La cour est devenue un lieu hanté, intouchable. Maintenant, on n’en sortira plus jamais de cette cour, de cette large solitude, de ce matin cuit et recuit sous le soleil ivre de rage qui tourne dans le ciel, comme une énorme question sans réponse. Je le sais déjà : je ne sortirai plus jamais de cette cour, où nous jouons au Scrabble, seulement occupés de la mort et des mots.

 Mais l’homme que j’étais déjà et l’enfant que je suis resté ont ceci en commun : au plus fort de la guerre, quand la violence de l’humain ou celle de la nature se déchaînent, ils voient toujours bouger les mots dans la cour. Les mots, seuls les mots sont en mesure de donner une figure précise à nos angoisses— paysages verdoyants, lacs éphémères — et de leur apporter un début de réponse, toujours précaire et provisoire.

 Alors, les mots recommencent sans arrêt un combat qui s’est tenu il y a longtemps déjà. N’y a-t-il plus de mot pour dire maison ? Nous en trouverons un autre. Le mot pour dire patience a-t-il déjà brûlé ? Nous en rallumerons un. Le mot amour a-t-il succombé sous la mitraille ? Nous le ressusciterons, le recréerons, sous d’autres formes, un peu plus loin. Et tout ceci est possible d’un seul mouvement de la pensée, aussi simple qu’un geste de la main. Ce geste étrange, précieux autant que dérisoire, c’est celui de l’art…

Signature et rencontre avec le public

Rencontre avec Michaël Ferrier

Lauréat du second prix littéraire Jacques Lacarrière pour son livre Scrabble, paru aux éditions Mercure de France (2019) dans la collection Traits et Portraits.

Samedi 13 novembre 2021 à 19h
A la bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe,
1 rue des Fossés-Saint-Bernard, Paris 5e 
(passe sanitaire obligatoire)

Présentation par Valérie Marin La Meslée
Lectures par Catherine Ferran, Sylvia Lipa Lacarrière, Elie Guillou…
La rencontre, d’une durée d’une heure, est suivie d’une séance de dédicaces et d’échanges avec Michaël Ferrier.

Le livre

Scrabble, une enfance tchadienne
C’est l’histoire d’une enfance au Tchad, à la fin des années 70, et de la fin de celle-ci, dans un pays extraordinairement beau, vibrant, palpitant. Mais voici que la guerre civile vient frapper à la porte de la maison du narrateur, un enfant, double de l’auteur
(la collection Traits et Portraits du Mercure de France, dirigée par Colette Fellous accueille des récits en forme d’autoportraits).
La première scène a pour décor la cour de la maison familiale, deux enfants y jouent au scrabble, tandis qu’au-dessus, des rapaces planent…

Michaël Ferrier portait ce livre en lui depuis longtemps, il y noue plusieurs fils fondateurs de son parcours : cette initiation africaine, « c’est ici que j’ai pris langue avec les bêtes et avec la terre, et ce négoce ne m’a jamais quitté » et, à travers elle, la découverte d’un rapport au monde qui passe par l’autre. « L’enfance s’ouvre comme une mangue », c’est le moment où l’on apprend à découvrir par les cinq sens. Cet état d’enfance se retrouve avec cette intensité dans une histoire d’amour et dans le geste artistique.

Le prix Jacques Lacarrière

Le prix littéraire Jacques Lacarrière distingue tous les deux ans un texte francophone de grande exigence littéraire, prolongeant l’esprit de l’écrivain. Il couronne l’auteur(e) d’un récit, roman, recueil de nouvelles, de poésie ou essai qui ouvre sur le monde sous le signe du partage. Un prix protéiforme, à l’image de l’œuvre laissée par Jacques Lacarrière.

Le jury

Le jury du prix est présidé par Valérie Marin La Meslée, auteure, journaliste littéraire au magazine Le Point.
Il est composé des membres suivants : Marie-Hélène Fraïssé, auteure et productrice à France Culture, Christian Garcin, écrivain, Sylvie Germain, écrivain, Élie Guillou, chanteur et poète, Sylvia Lipa Lacarrière, comédienne, déléguée artistique de l’association Chemins faisant, Anne Simon, auteure et chercheure en zoopoétique (directrice de recherche au CNRS), Jean-Luc Raharimanana, écrivain et Abdourahman Waberi, écrivain.

Bibracte : Echos du prix littéraire Jacques Lacarrière

 Le  Prix littéraire Jacques Lacarrière 

Le prix consiste en une résidence littéraire à Bibracte, agrémentée, pour l’édition 2020, d’une aide à la création de 3000 € (partagée à part égale entre Bibracte et la Bibliothèque de Saône et Loire) et de dotations en nature sous la forme d’une prise en charge des frais de séjours à Bibracte pour la durée de la résidence. Celle-ci (la première, qui s’est déroulée au cours de l’année 2021) a pour vocation d’offrir au lauréat un cadre de travail favorable à la création, dans un lieu patrimonial unique dédié à la recherche archéologique. 

En 2018, le Prix a été décerné à Jean-Luc Raharimanana, premier lauréat pour Revenir (Rivages).

Raharimanana et Bibracte

A la suite de la première résidence réalisée en 2019 par Jean-Luc Raharimanana au titre de la dotation qu’il a obtenue en tant que lauréat de la première édition du Prix littéraire Jacques Lacarrière, (organisé conjointement par Bibracte, l’association Chemins Faisant et la Bibliothèque départementale de Saône-et-Loire) deux résidences artistiques d’environ une semaine ont été accueillies à Bibracte en 2020, en lien direct avec la saison culturelle du musée. Jean -Luc Raharimanana a en effet tissé, confie-t-il,  des liens singuliers avec les arbres, les pierres, et le ciel du Mont-Beuvray.  Cette attraction  puissante de l’artiste  pour l’esprit des lieux  à généré plusieurs séjours durant l’année.  Une proposition  d’exposition  photos et textes a germé en février 2020,  bientôt enrichie d’un  recueil de poèmes.  Sur place, le projet d’une installation en 10 stations comportant 10 poèmes et des photographies de l’auteur s’est se dessiné, aboutissant  en fin d’année à « La Voix, le loin ». 

Installation : « La voix, le Loin »

Madagascar rencontre le Morvan,  l’installation débute ou se termine dans une tromba, cabane de transe de tradition malgache devenue lieu d’immersion dans un univers de sons et d’images. En Mars 2021,  une résidence de 10 jours avec Jean-Christophe Feldhandler,Vivien Trelcat, Yann Marquis,Vincent  Guibal et Max Lance autour du poète avait permis la création de la vidéo musicale installée dans la tromba 

Les mots de Jean-Luc :

« C’est une interrogation artistique, du fait de mes origines malgaches où la représentation n’est pas simplement une affaire d’artiste mais une implication directe du public aussi. Réinterroger l’espace du jeu, la circulation du regard et l’énergie de l’interprétation, réinventer le rapport au public. Un poète qui met en œuvre une installation texte/photo/vidéo/musique, qu’est-ce donc ? Quand les textes sont exposés sur d’inhabituels supports : des tôles rouillées, des trous d’arbres centenaires, des bâches sur le sol, des pupitres troués qui mangent les lettres…… Quand les photos empruntent à la peinture et au graphisme, quand les ombres profilent les narrations… Quand la vidéo ne représente pas mais suggère, quand la musique embarque dans des sons inattendus ou dans des mélanges de culture surprenants… Quel public crée-t-on ? Ou que crée le public à cet instant ? Qu’amène-t-il avec lui ? Que ramène-t-il ? C’est une étape mais aussi un instant rare et indépendant. (…) »

La Voix, le Loin

Quand la poésie se regarde
Le coeur de cette installation dans la forêt du mont Beuvray est la poésie. 
Le poète est un inventeur, un explorateur de formes, son art combine les sonorités, les rythmes, les mots, les images…
Raharimanana, l’auteur de ces poèmes,  a  choisi de les exposer, de les faire sortir du livre. L’ensemble de textes, se déploie en 10 stations de 10 poèmes composés en 10 temps (plan donné au musée).  
Le processus d’écriture est ainsi fait : un jour – un poème. 
100 journées – 100 poèmes…
Au levé, une musique en tête, des images – de là jaillissent les mots teintés de l’humeur du jour, traversés par l’actualité du monde et les émotions qu’elle suscite. L’ambiance du jour est parfois gaie, mélancolique, elle peut être violente. 
Il ne s’agit pas ici d’une proposition de lecture intégrale, le livre sera prochainement publié aux éditions Vents d’ailleurs. Le visiteur peut s’arrêter le temps d’un poème ou attraper des mots au passage. En cheminant, l’ombreux et l’étincelant se tissent, la frontière entre le songe et la réalité  est  indécise.
Eloïse Vial

Passation, d’un lauréat à l’autre

Au terme de sa résidence à Bibracte, Raharimanana, prix 2018, a croisé le lauréat du prix 2020, Michaël Ferrier

 Michaël Ferrier, lauréat de la seconde édition du prix littéraire Jacques Lacarrière en 2020, pour son roman Scrabble, (publié au Mercure de France) a été accueilli à Bibracte, le 11 août 2021, par Vincent Guichard, directeur général de Bibracte, Eloïse Vial, secrétaire du Prix, (photo) Jean-Luc Raharimanana et Sylvia Lipa-Lacarrière,comédienne et déléguée artistique de l’association Chemins faisant, partenaire de Bibracte pour l’organisation du prix. 

Balade littéraire sur le mont Beuvray

Balade Sacyate

Exposition des photographies de Pascal Gabard

Les 18 et 19 septembre 2021 à Sacy

78 Grande Rue
Sacy
89270 Vermenton

Les rencontres du prix littéraire Jacques Lacarrière

Mercredi 11 août 2021, à partir de 18h (RDV au musée)

Michaël Ferrier, lauréat de la seconde édition du prix littéraire Jacques Lacarrière en 2020, pour son roman Scrabble, sera accueilli à Bibracte par Jean-Luc Raharimanana, lauréat 2018, auteur de l’installation La Voix, le Loin et Sylvia Lipa-Lacarrière, comédienne et déléguée artistique de l’association Chemins faisant, partenaire de Bibracte pour l’organisation du prix.

La soirée sera placée à la croisée des chemins et des influences : nous vous proposons d’écouter, tout en cheminant dans l’installation La Voix, le Loin, des lectures à trois voix des textes de Michaël Ferrier, de Jean-Luc Raharimanana et de Jacques Lacarrière et, au loin, sans doute un peu de musique.

RDV 18h00, au musée.
Montée en navette à la Pâture du couvent (site naturel et archéologique). Le parcours se fait en descendant vers le musée. En cas de mauvais temps, les lectures se feront au musée de Bibracte. Durée : 2h30