Omer Kalesi

ÔMER KALEÇI

Orner Kalesi, né à Serbica (Kiçevo),
République de Macédoine, en 1932.

Il émigre en Turquie avec sa famille en 1956, à l’âge de 24 ans et commence ses études d’art figuratif à l’Académie des Beaux-Ans d’Istanbul en 1959. Encore étudiant, il voyage pendant cinq mois, en 1962, à la rencontre de la Turquie profonde. Ses impressions de voyage se retrouvent
plus tard, dans ses tableaux et en particulier dans ceux de derviches et de bergers. Son périple le conduit sur les pas des philosophes et humanistes du XIIIe siècle Meviâna, Hadji Bektasi Veli et Yunus Emre.
En 1965, il termine ses études à l’Académie des Beaux-Arts d’Istanbul et, la même année, il s’installe à Paris où il vit depuis plus de quarante ans.
La peinture d’Ômer Kalesi est intimement liée à la Turquie, un pays où s’inscrit l’ensemble de son activité artistique, notamment à la galerie Tem d’Istanbul. Après les Beaux-Arts, toutes ses peintures sont réalisées à Paris, dans son atelier du boulevard Arago.
Marqué, adolescent, par la Seconde Guerre mondiale. Omer Kalesi trouve son inspiration dans les événements de la péninsule balkanique. Une partie de son travail est réunie dans le livre « Le drame Balkanique » préfacé par Jacques Lacarrière.
Totalement fasciné par l’œuvre de Goya, son maître depuis les Beaux-Arts, il est allé plusieurs fois au musée du Prado à Madrid ainsi qu’à l’église San Antonio de la Plorida, où se trouve le tombeau du peintre, pour y admirer ses fresques. Il est particulièrement inspiré par les peintures noires de Goya réalisées dans les dernières années de sa vie.

« Ainsi sont à mes yeux ces peintures, ces portraits, hors du temps qui ne regardent plus qu’eux-mêmes. Qu’on les nomme derviches ou bergers, ils disent un horizon sans fin, fait de poussière ou de prière, balayé par un vent Paraclet qui les subjugue et qui les fige. Oui, ils viennent d’un pays terrestre, ils portent le manteau des humbles et la coiffe des anatoliens mais en fait ils sont déjà parvenus ailleurs. Peut-être en ce lieu entrevu par les Gnostiques et les Soufis, où nous attend notre véritable image venue à notre rencontre. Bien qu’immobiles, figés ou pétrifiés en leurs gestes de cosmonautes saisis par l’apesanteur, ils nous forcent à suivre leur voyage, à devenir témoins de leurs noces avec l’invisible. Ils sont une danse heureuse, une fête, une liturgie de gestes et d’attente. Et je sais maintenant ce qu’en eux je perçois vraiment : ils sont des chrysalides où un nouvel homme est en train d’éclore. »

Jacques Lacarrière à Orner Kalesi, Paris, 1992

Félix Rozen

« Je fixais des vertiges ». Cette phrase de Rimbaud pourrait très bien convenir aux nouvelles toiles de Félix Rozen, où les traits, les signes, les couleurs et les couches vivent des noces tour à tour primitives et savantes C’est le mouvement même des genèses et des créations qui affleure en ces toiles par la patiente superposition des touches exprimant ici, des naissances d’étoiles là, un séisme printanier ailleurs, des élans et des rythmes saisis dans le vif de leur source. Chaque toile devient ainsi un parchemin où s’inscrivent les signes d’une écriture perpétuelle.

Avec les gravures, ce sont plutôt les traces, les sceaux de messages sibyllins qui sont ici proposés par le peintre. On y découvre l’aurore de signes à déchiffrer en même temps que les empreintes d’un pays oublié, celui où l’écriture a pris naissance. Il y a en Félix Rozen un rêveur scientifique et un scribe lyrique qui savent concilier ce qu’on croyait inconciliable : le passé le plus vieux et le futur à naître, en un mot la mémoire de la modernité.

Jacques Lacarrière

Pour Félix Rozen

Tendre est le jour qui lui donna naissance
Et tendre est la nuit qu’il éclaire
Jacques Lacarrière

I.
Les êtres et les visages
Visages regardant,
Yeux retenant le temps dans le flou des pupilles
En vos mandorles de pénambre,
Habitants des pays oubliés,
Des pays d’avant naître
Où courez-vous, que cherchez-vous ?
Autour de vous
Les couleurs migratrices ont revêtu
Les plumes des saisons
Un grand émoi s’empare de nos gestes
Comme forêt avant l’orage.
Clowns ? Messagers ? Funambules
Sur le fil des miroirs ? Lutteurs
D’arc-en-ciel et briseurs de nuage ?
Enfants de foudre, enfants d’humus,
Vîsages regardant ?

II.
Autres formes
Corolles du temps
Eclatées, rétractées
Comme une orbe impulsive.
Doigts des étamine
Dans la paume éteinte des volcans.
Un ange, braise et cendre
Veillant le feu mourant
Dans l’or des digitales.
Et quelque part,
Un coquillage proposant à la nuit
L’énigme de sa nacre.
Et quelque part
Dans le pré retrouvé
Un enfant, écoutant
Le silence soudain des insectes.
L’alphabet du feu


Le mot qui définirait le mieux la technique employée par Félix ROZEN en ces oeuvres récentes serait le mot gaufrage dont le dictionnaire nous dit sans surprise qu’il consiste à gaufrer des tissus, du cuir, du carton, du papier, autrement dit à y imprimer des motifs en relief ou en creux. Il s’agit bien ici d’impressions au sens concret du mot, c’est-à-dire de pressions créant des empreintes sur une surface appropriée. Une sorte de tatouage, laissant sur la peau du support une image ou un message indélébile. Dans les cultures traditionnelles, le tatouage est une marque d’appartenance à un clan ou à une confrérie, mais aussi un dessin qui fait corps avec le support.
Faire corps : voilà une image qui permet d’approcher ces formes, ces figures, ces festins de pâte, ces noces de la cire et du feu. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de la rencontre sur une plage d’épais papier d’une cire et d’un fer chauffé. Images, motifs, empreintes, traces, épures, s’y rencontrent comme autant de matrices permettant par la suite tous les accouchements possibles des formes et des couleurs. Pour ma part, je vois surtout en ces empreintes, en ces pyrocera comme les nomme leur créateur, les lignes, signes et caractères, disons même les hyéroglyphes d’un monde inédit et parallèle au nôtre. C’est le hasard qui, au début, semble assembler ou disperser ces signes mais un hasard vite ordonné, maîtrisé par l’artiste qui affine et oriente aussitôt ces lettres et ces messages surgis spontanément, cet alphabet d’un autre monde né pour transfigurer le nôtre.
Les anges, on le sait, sont, comme d’ailleurs les démons, des créatures de feu. Serions-nous ici en présence d’une écriture des anges? Je ne m’aventurerai pas jusque là mais j’ai le sentiment, en regardant ses oeuvres, de déchiffrer un langage ardent et imagé, ce brasier d’élans et de laves qu’implique tout acte véritablement créateur.

Jacques Lacarrière

Notes biographiques

1938 – Né à Moscou, naturalisé Français en 1974.
Diplômé de l’École Nationale d’Electronique de Varsovie (1959)
Maîtrise discernée par l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie (1965)
1966 – S’installe à Paris
1967 – Première exposition personnelle, Galerie Tivey Faucon, Paris.
1967-74 – Décors de Théâtre et affiches pour France Culture ; organise le Festlval de Collias (arts, cinéma, musique) dans le Gard.
1971 -80 – Enseignement universitaire (Besançon, Université de Vincennes, Sorbonne, Paris l)
A partir de 1980 – fréquents séjours à New-York et en Scandinavie.
1984 – Boursier de l’état Français : Center for Music Experiment, San Diego et au Japon (1984-1985)
Depuis cette date, réalisation d’une série de peintures intitulée « Tokyo Series ».
1988 – Voyage en Argentine
1990 – lnvention de la gravure pyrocera


Charlotte J. Charlot

« Elle pratique l’aquarelle, le dessin à la plume. Outre ses nombreuses études de paysage qui fixent intensément le squelette du réel, elle dessine aussi à la plume des formes et des paysages aux franges de l’abstraction et de l’imaginaire. Des dessins pariétaux pour murs à inventer.  »
« Ici commence notre halte
entre deux haies d’attente vive.
Entre deux fièvres aux quatre vents.
Demain, nous pourrons repartir au clair chemin des oraisons.
Demain. »
Textes de Jacques Lacarrière, extraits de 
Errances, sur le travail de Charlotte J. Charlot
Charlotte J. Charlot a vécu de nombreuses années dans le Morvan et aujourd’hui à Paris. Elle a participé à plusieurs expositions individuelles et collectives en France et à l’étranger.
Charlotte J.Charlot, dans son travail actuel, cherche à explorer son désir du pictural sous toutes ses formes à travers l’acte de peindre ; figure ou abstraction, être devant ou dans le motif. Celui de l’aujourd’hui.
Les formats identiques forment une suite comme la pellicule d’un regard.

Aristide Caillaud

Aristide Caillaud, natif des Deux-Sèvres, passa son enfance, son adolescence et les trente dernières années de sa vie en Poitou. De là son attachement à ce pays de bocage, d’eau, de forêt mais aussi de légende, de mythes, de religion et d’art et leur présence, leur prégnance dans son oeuvre.

Ami de Dubuffet et de Chaissac, son voisin vendéen, Caillaud participa en 1949 à la première manifestation de 1’art brut. Cependant, son oeuvre ne peut ni être identifiée à ce mouvement essentiel, ni être limitée au qualificatif de naïve.

Elle est celle d’un poète de l’image, inventeur de formes et de structures très élaborées, oeuvre unique, original et originel plain-chant où les quatre règnes de la vie se confrontent et se conjuguent. Grâce aux textes de Jacques Lacarrière, cet ouvrage richement illustré permettra au lecteur de découvrir l’univers fascinant de ce peintre inclassable.

Aristide de Sirène

« Sous les paumes, le mirage. Sous la main, le miracle.
Une Pâques de couleurs, pâquis de colories.
Au bout des doigts, le monde. Sur la toile, l’Etoile.
Un béethléem de lumière. Etable ou se rend le Mage, enchanteur cheminant, quand le désir le prend de rendre hommage
au nouveau lieu des langes.
Ici, même les momies sourient dans l’Immobile,
l’arbre ne craint plus ses rumeurs
l’oiseau revendique le chat
et le volcan, ailleurs étau de feu,
est un émoi de plus parmi l’azur. »

Jacques Lacarrière

Alecos Fassianos

Enfant, je jouais dans les paupières du ciel. Les nébulosités de l’espace étaient mes seules compagnes. Je marchais sans y prendre garde sur les cheveux des vieilles femmes, côtoyais les plus laids monuments sans même les remarquer. Sans un mot, je déshabillais les forêts pour les jeter nues à l’entrée des villes, mais je continuais de m’instruire à l’écoute des paroles douces des saisons.
A chaque pose, des vols d’oiseaux migrateurs m’indiquaient la route à suivre. J’étais indiscuté, j’étais heureux…
L’Enfance d’Icare, poèmes, lithographies de Fassianos. Syrmos éditeur

… Les personnages de Fassianos, ces figurants d’un théâtre muet, ces acteurs d’un film arrêté, bref ces ombres suggèrent, malgré leur caractère unidimensionnel, un monde le plus souvent sensuel, langoureux et voluptueux, un monde à l’orée du rêve aussi, où la beauté passe comme au ralenti, sans urgence et sans pesanteur, avec la même fidélité et la même sensualité que le vent à travers les étendues et les langueurs du sommeil. Car ces ombres rêvent quelquefois.
A quoi peut bien rêver une ombre ?
Peut-être à ce pays précieux et très ancien dont parle Platon et où les hommes n’avaient encore que deux dimensions comme les personnages des vases ? Ce pays du bonheur encore sans épaisseur ? Ce sont eux finalement ces fantômes de jadis qui survivent aujourd’hui dans cette œuvre et portent jusqu’à nous, jusqu’à notre brutale, bruyante modernité, la grâce et la légèreté des nuages humains de Fassianos.
Jacques Lacarrière

Peut-on imaginer un monde sans musique ?

Peut-on imaginer un monde sans musique, un monde où les ruisseaux couleraient sans murmures, où les oiseaux ignoreraient le chant et où le vent lui-même ne serait qu’un souffle sans échos ? Je dis bien : un monde sans musique, pas un monde insonore ou sans bruit. Bruits et sons nous entourent, nous envahissent dès la naissance, rythment ou martèlent chaque instant de notre vie depuis les battements de notre cœur jusqu’aux rumeurs ultimes du Big-Bang encore audibles, nous dit-on, dans le concert des étoiles. Non, je ne parle pas de bruits sans âme mais de la musique qui est au son ce que la fleur est à la tige, une éclosion, une effusion, voire une élévation offerte aux yeux et aux oreilles.
Il y a quelques années, à l’occasion du premier concert donné par un groupe de jeunes musiciens amateurs, je leur avais écrit : «A quoi peut bien servir la musique ? A divertir, émouvoir, plaire, faire rire, faire pleurer, donner des leçons, donner des frissons, charmer les oreilles ou les casser ? A tout cela, semble-t-il, selon les cas, les siècles, les auteurs et les interprètes, à tout cela sauf adoucir les mœurs.» Je ne peux que réitérer ici ces humbles évidences. La musique n’est pas là pour adoucir ni d’ailleurs endurcir les mœurs, pour faire de nous des anges ou des démons, nous tracer le chemin menant au seuil du paradis ou au cœur de l’enfer car elle est d’abord une fête des sons, une noce d’accords, un concert – voire un concile – de timbres et de rythmes, une floraison d’émotions, une moisson de vibrations, tout un unisson d’harmonies. Et ce, qu’elle s’en tienne aux demeures familières des assonances et consonances ou qu’elle s’aventure vers les contrées délicates – et souvent délicieuses – de la Dissonance.
Un après-midi d’août 1944 en pleine Occupation, à la veille de la libération de la ville d’Orléans où j’habitais alors, une jeune amie pianiste profita d’un répit entre deux bombardements pour se remettre au piano. La musique me parvint tandis que je montais les escaliers de sa maison pour lui rendre visite. Une musique étrange, inconnue de moi qui me figea littéralement sur place. C’était un air lent, très lent, une sorte de complainte qui n’avait rien d’une déploration, une musique austère, hiératique mais d’où n’émanait nulle tristesse, comme si elle accompagnait une procession solennelle, illustrait une cérémonie secrète ou séculaire, venue du fond des temps. Et ce, en un lieu que j’imaginais comme une terrasse vaste et nue donnant sur de grandes arcades. C’était la Sarabande de Claude Debussy, seconde partie d’une suite qui en comprenait trois et qui s’intitulait : Pour le piano.
Depuis ce jour de 1944 où je l’entendis pour la première fois – il y aura donc bientôt soixante ans ! -, cette Sarabande n’a cessé de dérouler en moi ses fastes solennels, son fascinant murmure, sa lente, enchanteresse liturgie. Comme le chant d’une invisible et angélique Infante gagnant quelque lieu fatidique ; une Infante rencontrée en une vie passée et retrouvée, reconnue ce jour-là, indiscutablement, par l’entremise et la magie de la musique de Debussy. A quoi sert la musique ? Mais à retrouver le chant de nos vies parallèles !

L’opéra et la tragédie antique

InfoMatin : Comment le mythe d’Iphigénie a-t-il survécu ?
Jacques Lacarrière : Quand Euridipe écrit Iphigénie en Tauride, puis Iphigénie en Aulide, il y a belle lurette qu’on ne sacrifiait plus les femmes en Grèce, ni les hommes ! Le dramaturge se trouve donc devant une tâche ardue mais passionnante : expliquer humainement, par les ressorts de la psychologie, un rituel archaïque dont le sens avait disparu. Chacun, au cours des siècles, a continué cette démarche et apporté sa propre vision du drame. Tant qu’un mythe est lu, joué, écouté, dansé, interprété d’une façon ou d’une autre, il reste vivant.

Peut-on rapprocherle sacrifice l’Iphigénie de celui d’Isaac ?
J. L.: Le sacrifice d’Iphigénie est imposé à Agamemnon, non pas en tant que père, mais entant que général des armées grecques, pour que les bateaux puissent porter la guerre à Troie. Le sacrifice d’Iphigénie a une portée collective, il concerne le sort de l’armée grecque toute entière et celui de la guerre contre les Troyens. Le sacrifice d’Isaac, lui, est une épreuve personnelle envoyée par Dieu pour tester la foi et la soumission d’Abraham. Nous sommes dans deux mondes tout à fait différents : celui de la responsabilité collective avec les Grecs, celui de la foi inconditionnelle avec la Bible.

La mythologie grecque résonne-t-elle toujours en l’homme occidental ?
J. L. : Les personnages de la mythologie grecque qui ont survécu jusqu’à nous sont ceux qui ont été portés jadis au théâtre. Si leurs conflits, leurs drames, leur histoire ont encore pour nous sens et vie, c’est que ces œuvres continuent de nous poser des questions vitales. Pour ne prendre qu’un exemple, celui d’Antigone face à Créon n’est-il pas l’illustration parfaite de cette phrase d’Einstein : « Ne fais jamais rien contre ta conscience, même si l’Etat te le demande » ? Je suis sûr que Sophocle et Einstein se seraient entendus ! Ce que Sophocle appelait tyrannie, Einstein l’appelait totalitarisme,mais la conséquence est la même : tant qu’il y aura des Créon, nous aurons besoin d’Antigone.

L’opéra participe-t-il des rites religieux?
J. L. : L’opéra est la forme scénique la plus proche de ce que fut la tragédie grecque, mais les tragédies antiques étaient plus encore que des opéras. Je ne crois pas que l’opéra doive rester dans un registre religieux, rituel où mythologique. Il n’y a aucune raison de ne pas faire comme ont fait les auteurs d’autrefois, qui ont innové en portant ces personnages sur la scène. Il est essentiel que l’opéra soit présent dans un registre novateur, qui ne repose plus sur la fatalité des personnages, mais sur leur liberté, leur pouvoir d’inventer l’avenir. Après les parricides ouïes infanticides, il lui reste à proposer aussi des genèses dont la voie reste à tracer!

Propos recueillis par Lucien Delarue pour Info Matin