Félix Rozen

« Je fixais des vertiges ». Cette phrase de Rimbaud pourrait très bien convenir aux nouvelles toiles de Félix Rozen, où les traits, les signes, les couleurs et les couches vivent des noces tour à tour primitives et savantes C’est le mouvement même des genèses et des créations qui affleure en ces toiles par la patiente superposition des touches exprimant ici, des naissances d’étoiles là, un séisme printanier ailleurs, des élans et des rythmes saisis dans le vif de leur source. Chaque toile devient ainsi un parchemin où s’inscrivent les signes d’une écriture perpétuelle.

Avec les gravures, ce sont plutôt les traces, les sceaux de messages sibyllins qui sont ici proposés par le peintre. On y découvre l’aurore de signes à déchiffrer en même temps que les empreintes d’un pays oublié, celui où l’écriture a pris naissance. Il y a en Félix Rozen un rêveur scientifique et un scribe lyrique qui savent concilier ce qu’on croyait inconciliable : le passé le plus vieux et le futur à naître, en un mot la mémoire de la modernité.

Jacques Lacarrière

Pour Félix Rozen

Tendre est le jour qui lui donna naissance
Et tendre est la nuit qu’il éclaire
Jacques Lacarrière

I.
Les êtres et les visages
Visages regardant,
Yeux retenant le temps dans le flou des pupilles
En vos mandorles de pénambre,
Habitants des pays oubliés,
Des pays d’avant naître
Où courez-vous, que cherchez-vous ?
Autour de vous
Les couleurs migratrices ont revêtu
Les plumes des saisons
Un grand émoi s’empare de nos gestes
Comme forêt avant l’orage.
Clowns ? Messagers ? Funambules
Sur le fil des miroirs ? Lutteurs
D’arc-en-ciel et briseurs de nuage ?
Enfants de foudre, enfants d’humus,
Vîsages regardant ?

II.
Autres formes
Corolles du temps
Eclatées, rétractées
Comme une orbe impulsive.
Doigts des étamine
Dans la paume éteinte des volcans.
Un ange, braise et cendre
Veillant le feu mourant
Dans l’or des digitales.
Et quelque part,
Un coquillage proposant à la nuit
L’énigme de sa nacre.
Et quelque part
Dans le pré retrouvé
Un enfant, écoutant
Le silence soudain des insectes.
L’alphabet du feu


Le mot qui définirait le mieux la technique employée par Félix ROZEN en ces oeuvres récentes serait le mot gaufrage dont le dictionnaire nous dit sans surprise qu’il consiste à gaufrer des tissus, du cuir, du carton, du papier, autrement dit à y imprimer des motifs en relief ou en creux. Il s’agit bien ici d’impressions au sens concret du mot, c’est-à-dire de pressions créant des empreintes sur une surface appropriée. Une sorte de tatouage, laissant sur la peau du support une image ou un message indélébile. Dans les cultures traditionnelles, le tatouage est une marque d’appartenance à un clan ou à une confrérie, mais aussi un dessin qui fait corps avec le support.
Faire corps : voilà une image qui permet d’approcher ces formes, ces figures, ces festins de pâte, ces noces de la cire et du feu. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de la rencontre sur une plage d’épais papier d’une cire et d’un fer chauffé. Images, motifs, empreintes, traces, épures, s’y rencontrent comme autant de matrices permettant par la suite tous les accouchements possibles des formes et des couleurs. Pour ma part, je vois surtout en ces empreintes, en ces pyrocera comme les nomme leur créateur, les lignes, signes et caractères, disons même les hyéroglyphes d’un monde inédit et parallèle au nôtre. C’est le hasard qui, au début, semble assembler ou disperser ces signes mais un hasard vite ordonné, maîtrisé par l’artiste qui affine et oriente aussitôt ces lettres et ces messages surgis spontanément, cet alphabet d’un autre monde né pour transfigurer le nôtre.
Les anges, on le sait, sont, comme d’ailleurs les démons, des créatures de feu. Serions-nous ici en présence d’une écriture des anges? Je ne m’aventurerai pas jusque là mais j’ai le sentiment, en regardant ses oeuvres, de déchiffrer un langage ardent et imagé, ce brasier d’élans et de laves qu’implique tout acte véritablement créateur.

Jacques Lacarrière

Notes biographiques

1938 – Né à Moscou, naturalisé Français en 1974.
Diplômé de l’École Nationale d’Electronique de Varsovie (1959)
Maîtrise discernée par l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie (1965)
1966 – S’installe à Paris
1967 – Première exposition personnelle, Galerie Tivey Faucon, Paris.
1967-74 – Décors de Théâtre et affiches pour France Culture ; organise le Festlval de Collias (arts, cinéma, musique) dans le Gard.
1971 -80 – Enseignement universitaire (Besançon, Université de Vincennes, Sorbonne, Paris l)
A partir de 1980 – fréquents séjours à New-York et en Scandinavie.
1984 – Boursier de l’état Français : Center for Music Experiment, San Diego et au Japon (1984-1985)
Depuis cette date, réalisation d’une série de peintures intitulée « Tokyo Series ».
1988 – Voyage en Argentine
1990 – lnvention de la gravure pyrocera