Un soldat en déroute

Collection Folio (n° 1262), GallimardParution : 12-02-1981
«La chevauchée de deux soldats perdus conduit le lecteur à travers les horreurs et les surprises de la guerre. Au hasard des batailles, dans la brume, la neige et la boue, apparaissent de singuliers personnages : un capitaine innocent et roublard, un vieux général résigné, un colonel qui ne l’est pas du tout, des troupiers ahuris, fraternels et désolés, une fille belle et généreuse. S’agit-il d’une épopée, d’un récit picaresque ? Les couleurs de ce roman ne sont pas celles de l’héroïsme et les situations les plus cocasses y ont quelque chose de désespéré. Malgré ses cruautés, cette histoire de guerre n’est peut-être qu’une histoire d’amour et de tendresse.»
Henri Bonnier.

Ecritures Grecques

Ellīnikés grafés : guide de la littérature néo-hellénique.

Courte histoire du roman grec des origines à 1945 par Henri Tonnet
Esquisse de la poésie grecque moderne de ses débuts aux années 1940 par Constantin Bobas
Répertoire des poètes et romanciers d’après-guerre par Athena Vouyoucas
La littérature grecque de l’après-guerre, parti pris par Nanos Valaoritis

Editeur : Librairie hellénique Desmos, Paris, 1977, 1997
ISBN-13 : 978-2911427039

Le soleil de la mort

De Pandelis Prevelakis
Préface de Jacques Lacarrière

« Seul un enfant privé de ses parents pouvait incarner ce mal du siècle – l’expérience de la désagrégation des mythes et des idées reçues – et seule une paysanne intacte en sa substance comme tante Roussaki pouvait y porter remède « , écrivait Prevelakis à Jacques Lacarrière.  » Roussaki incarne l’humanisme populaire méditerranéen qui résorbe dans sa sagesse et abolit par ses pratiques millénaires l’obscurité de notre temps. « 

 » Toutes les expériences de mon enfance en Crète vinrent se cristalliser autour de cette intuition initiale. L’événement mythique reliant cette mère à cet orphelin est la vendetta, menace meurtrière conçue par les hommes mais qui représente évidemment la destinée commune à tous les êtres.  »

Car c’est la Mort qui est, avec la Mère, le sujet essentiel de ce livre et qui occupe tous les instants, toutes les pensées, non seulement de l’enfant mais du village entier. C’est dans sa lumière que la nature, l’amour, la sexualité, la tendresse retrouvent leur vérité avec les dimensions premières de l’homme.

Editions Autrement 1997
ISBN-13 : 978-2862606873

Une jeune fille nue

de Nikos Athanassiadis, traduction de Christine Notton, préface de Jacques Lacarrière

 » Certaines légendes traversent les siècles sans rien perdre de leur pouvoir révélateur. Sans doute répondent-elles à des questions enfouies dans le plus secret de nous-mêmes, sans doute aussi existe-t-il en elles ce qu’on appelle un fond de vérité. Tel est le cas de la légende ou du récit rapporté dans une Jeune fille nue : les amours d’une jeune fille et d’un dauphin, près des rivages de l’île de Mytilène en Grèce. Que ces amours tournent au drame, qu’une tierce personne, étrangère aux secrets impérieux de la mer, vienne rompre l’enchantement de cette idylle entre deux règnes et la muer en tragédie, cela, c’est l’affaire de l’auteur. L’essentiel demeure cette amitié sans limite entre un cétacé et un être humain, qui ne prête ni au sourire ni à l’étonnement mais simplement qui est.  » Jacques Lacarrière.

Albin Michel, Paris, 1966

Bibliothèque Albin Michel , réédition en 1990
Rombaldi collection Club De La Femme, 1967

Trois Ménologues

Les Grecs aimaient particulièrement les formules brèves, les sentences et énigmes à caractère poétique et initiatique. Parménide, Héraclite, Pindare, Euripide, Ménandre furent maîtres en ce genre précurseur du haïku japonais.

Telle est la raison d’être de ces courts poèmes, surgis au cours de certaines heures en certains lieux de Grèce : célébrer l’alliance des mythes et du réel, de l’intemporel et du quotidien, en un mot les noces constantes

Postface de Jean-Pierre Siméon
Commentaire de Danielle Bassez

20 mai 2014 Cheyne éditeur
ISBN-13 : 978-2841161997

Les Gnostiques

Sommes-nous vraiment au monde ? La vraie vie n’est-elle pas ailleurs ? Dix-sept siècles avant Rimbaud, les Gnostiques ont posé ces questions radicales, sur les rivages et dans les ruelles d’Alexandrie, face aux idoles d’un monde en perdition, face aux excès d’un christianisme triomphant. Questions toujours actuelles : l’injustice, l’intolérance, l’arbitraire et la souffrance continuent d’habiter ce monde. Alors où est l’issue ? Peut-on aujourd’hui encore suivre la voie gnostique pour échapper au monde.
(…) La gnose est une connaissance. C’est sur la connaissance et non sur la croyance et sur la foi que les gnostiques entendaient s’appuyer pour édifier leur image de l’univers et les implications qu’ils en tirèrent : connaissance de l’origine des choses, de la nature réelle de la matière et de la chair, du devenir d’un monde auquel l’homme appartient aussi inéluctablement que la matière dont il est constitué.
Or cette connaissance – née de leurs propres réflexions ou d’enseignements secrets qu’ils disaient tenir de Jésus ou d’ancêtres mythiques – les portent à voir dans toute la création matérielle le produit d’un dieu ennemi de l’homme.

Viscéralement, impérieusement, irrémissiblement, le gnostique ressent la vie, la pensée, le devenir humain et planétaire comme une vie manquée, limitée, viciée dans ses structures les plus intimes. Depuis les étoiles lointaines jusqu’aux noyaux de nos cellules tout porte – matériellement décelable – la trace d’une imperfection originelle que seules la gnose et les voies qu’elle propose seront en mesure de combattre.

Collection Spiritualités vivantes chez Albin Michel

Un Jardin pour mémoire

Oui, forts et denses, éclairants, lumineux furent finalement ces jours de l’été 1944. Ces jours qui contribuèrent si fortement à hâter la fin de mon adolescence. Quand les parents furent de retour, une fois la ville libérée, ils pensaient nous retrouver intacts, je veux dire tels que nous étions auparavant. Mais nous avions grandi, mûri, et tant changé que s’ils avaient eu ne fût-ce qu’une once d’intuition, ils n’auraient même pas dû nous reconnaître.
C’est à ce moment là, quand tout autour de nous n’était que ruines, que la ville presque entière était à reconstruire et l’avenir à repenser, que je décidai seul, absolument seul (mais avec la complicité du tilleul) de ce que je ferais de ma vie : être cigale et jamais fourmi.
Jacques Lacarrière

(…)A quoi sert un fleuve ? On se pose rarement la question tant son existence va de soi, comme celle du ciel et de la terre. Pendant longtemps on ne vit en lui qu’une source d’eau consommable, un chemin mouvant et gratuit pour aller d’une ville à l’autre et pour gagner la mer, et un vivier de nourriture par les poissons qu’on peut y pêcher, le gibier d’eau qu’on peut y chasser. Cela c’est l’histoire coutumière et humaine du fleuve, au temps des coches, des barges et des plates. Mais il y a des fleuves un autre usage possible, plus ludique et moins prosaïque, qui consiste aussi à s’y baigner, à en sonder les fonds intimes, à s’étendre au soleil sur leurs îlots de sable, à rêver sur leurs rives, à imaginer leur estuaire, la mer où ils se jettent et les Polynésies lointaines. Car le fleuve, comme le dit Héraclite est un constant Ailleurs en notre ici. Un Ailleurs, mais aussi un langage de rives, d’eaux fraternelles, de boue, d’îlots et de deltas. (…)

Paris, NIL Editions, 1999 Pocket, 2001
Présentation Un livre un jour, France 3

A l’Orée du pays fertile

Anthologie poétique personnelle
Parution à l’occasion de la 13e édition du Printemps des poètes (7 au 21 mars 2011)

« Il n’est de manque véritable que le vide d’un monde privé de poésie. »

Dans cette anthologie qu’il avait lui-même composée, Jacques Lacarrière nous livre plus de cinquante ans de voyage dans l’intimité de sa poésie, une poésie nourrie de paysages, de rencontres et de mythes.

« Être, à chaque mot, contemporain du premier homme : Adam des mots » : telle aurait pu être la devise de celui qui partagea sa vie entre son amour de l’écriture et sa passion des civilisations anciennes. Plus célèbre pour ses romans et ses récits de voyages, il a toutefois eu un véritable parcours poétique, plus discret mais issu de rencontres déterminantes, parmi lesquelles le surréalisme avec André Breton, la négritude avec Aimé Césaire, les grands classiques de la Grèce antique, avec la traduction de Sophocle ou d’Hérodote ou la peinture de Giorgio de Chirico. S’ajoute à cette liste celle des voyages, des traversées : Patmos, l’archipel des Cyclades, le Mont Athos, mais aussi la France, entre campagne et ville.

Celui qui chemine au creux de cette anthologie le comprend aussitôt : le tempérament nomade de son auteur imprime à cette poésie le caractère de l’éphémère, du fugitif. Les figures mythologiques, qu’elles soient argonautes, centaures, néréides ou gorgones, affluent sous la bannière de l’Immémorial Orphée – figure éternelle du poète. La contemplation des paysages, qui offre au langage ses états singuliers, cède devant le récit épique des batailles de l’Aurige, ce conducteur de char dont on retrouva la statue à Delphes. Le cri d’Icare tombant dans la mer résonne comme le cri originel de tout être humain. Cette poésie se situe entre un monde de nature et un monde par-delà la nature, empreint de mythe. De chaque mot, de chaque image, se dégage une sagesse infinie, loin de la contingence des époques, légère comme le nuage et solide comme le minéral. Car les éléments – eau, vent, feu, terre – sont partout présents, seules forces à l’épreuve du temps. Ces poèmes apparaissent donc, selon les termes de l’auteur lui-même, « bucoliques, agraires, forestiers, telluriques, aériens, nébuleux ou céréaliers. » Ils font parvenir jusqu’à nous la voix tout à fait singulière d’un bel esprit, généreux et contemplatif.

Paris, Seghers Laffont, 2011

EXTRAITS

Abécédaire de la terre

Annonciatrice des aubes et des astres
Berceau de nos balbutiements
Colombier des humaines colombes
Donatrices des délectations
Écrin de nos enchantements
Florilèges des floraisons
Géante où gazouille le monde
Héroïne de l’histoire des herbes
Infante de l’immensité
Jardinière des joies et des jours
Kermesse des kobolds
Légendaire des loups et des lions
Matrice et mémoire du monde
Nourrice des nids et des nues
Plénitude des pastoureaux
Quintessence des autres éléments
Royaume de toute renaissance
Semeuse de savoirs et de saveurs
Trésors où s’enrichit le Temps
Unisson de tous les univers
Ventre et veilleuse des victoires
la Terre

Écrit en mer Égée, entre Ios et Siphnos

Au plus près de la “mer écumeuse“ d’Homère,
au plus près de cette vérité bleue
qui tremble à l’heure du poème,
au plus près de la vague offerte en chacun de ses creux,
au plus près du fragile avenir de l’écume,
au plus près de l’oiseau à la croisée des vents,
au plus près du rivage où veille une chapelle

j’ai regardé les îles, grenades émiettées aux noces de la mer,
j’ai perçu leur cri de chaux vive et de sel,
humé leurs icônes d’odeur et les bouquets séchés de leur lumière.
Ici le filet du pêcheur dialogue chaque jour
avec la liberté des vagues,
chaque jour le soleil recommence
les jeux savants des mouettes et de l’azur,
et ici, chaque jour, à mi-chemin des ombres et du réel
corps éployé dans la légende,
vient rêver
une néréide.

Portrait d’un hirsute

Un profil de ménagère et une sensibilité d’obélisque, il n’en fallait pas plus pour qu’il devient impossible à vivre. Il avait été ramoneur puis professeur au Muséum d’histoire naturelle. Il y avait acquis cette habitude déplorable de se croire une géologie en marche. Aussi ne bougeait-il jamais. Il ne se lavait jamais non plus. Il est mort un jour, d’érosion.

1949

Même parti très loin, je ne sais
Quel est le plus réel, de ma mémoire ou de mes routes
Quel est le vent qui pousse ce bateau,
Quelle est la mer qui pousse ces oiseaux.
Je suis arrivé près de lagunes ocrées
Où la patience des sauriens ruminait
Le long enfantement de l’homme.
Ainsi de toi, lointaine, jusqu’à moi :
Ta main est ce serpent lacustre dont le sommeil
M’attend au bout des mémoires du monde.
1950

Incertitudes

Je ne sais pas pourquoi le Zodiaque est si haut
Ni pourquoi les nuages sans cesse recommencent
Pourquoi l’éclair ne dure, pourquoi les soleils meurent
Je ne sais pas pourquoi le vent est sans mémoire.

Mille ans suffiraient-ils pour pouvoir épuiser
La raison d’un seul jour
Et mille autres pour enfin déchiffrer les runes inviolées de la nuit ?

Demeure, malgré tout, la fidélité du printemps,
Demeurent l’élévation et la ponctualité des sèves
Demeurent au loin les milles chuchotis de la mer
Demeure à mes oreilles le chant muet des coquillages.

Je ne sais pas pourquoi le vent est sans mémoire
Je ne sais pas pourquoi les taupes sont aveugles
Je ne sais pas pourquoi les saules se lamentent

Je ne sais pas pourquoi l’herbe n’a pas d’histoire.

Mille ans suffiraient-ils pour nous faire découvrir
le pacte des herbes et du vent
Et mille autres pour élucider
l’œil irisé des libellules ?

Demeure, inexorables, le foisonnement des fourmis
Demeure, inégalée, la diligence des abeilles
Demeure, inexpliqué, le mutisme des cicindèles,
Demeure, indiscuté, le verbiage des Kinkajous.

Je ne sais pas pourquoi le vent est sans mémoire
Je ne sais pas pourquoi la foudre devient cendre
Je ne sais pas pourquoi l’oiseau n’a que deux ailes
Je ne sais pas pourquoi la rose est sans pourquoi.

Octobre au bord des flammes

Antiphonaires des saisons, les vêpres
tombent sur la ville avec un bruit de voix mouillées.
Là-bas, ce répons d’âmes
cette cantilène des nuages
et le cri de l’ange là-haut
déroulant la grande nappe des prières
sur l’incendie, sur l’agonie de la lumière.

1950

Cyclades

Ici, le temps se mesure au comptant, au content du soleil. C’est pourquoi chaque coupole, chaque chapelle filtrent les flèches du zénith, clepsydres des lumières.
Ruelles des Cyclades : lignes de partage du jour et de la nuit sur le crêt de l’Immaculé comme une eau ruisselant vers le levant ou le ponant des songes.
Arêtes vives comme le tranchant d’un glaive entre fini et infini. Comme l’épée de l’Ange entre innocence et faute. Arêtes vives comme une frontière rectiligne, embrasée, parallèle à notre destin.
En ces jeux de lumière et d’ombres cycladiques, en ce damier austère, on retrouve la trace des vieilles géométries qu’Euclide, Thalès et Pythagore ont tour à tour inscrites dans le blanc du ciel grec. Épures de midi. Lignes, droites, angles, arêtes, trigones et triangles du ciel que le soleil docile reproduit sur le cadran des îles. C’est là, juste à la bissectrice des solstices que son tranchant sépare la Mémoire. Et il met d’un côté les grands cyprès orphiques, de l’autre le marbre euclidien du zénith.
J’ai regardé les îles, grenades émiettées aux noces de la mer, j’ai perçu leur cri de chaux vive et de sel, humé leurs icônes d’odeur et les bouquets séchés de la lumière.
Là, juste là, cette arche d’ombre fichée sur l’épingle embrasée du soleil.
Il y a dans la tradition mystique de la Grèce un mot qui désigne les ascètes les plus ardents, les plus acharnés à demeurer dans le désert aux franges des brûlures, et ce mot, c’est nepsis qui veut dire sobriété. On nomme précisément neptiques les ermites les plus extrêmes en leur ascèse. Ivresse neptique du mur Egéen, fou de soleil, éperdu de lumière. Ivresse neptique des voiles cycladiques sur l’écume. Car il n’est autre ivresse que celle de l’homme sobre devant l’arête immaculée de ses désirs.
Neptiques sont ces murs, ces terrasses, ces coupoles, ces marches étincelantes, dénudées de lumière. Neptiques puisqu’un peu de chaux leur suffit pour affronter l’infini bleu du ciel.
Lumière janséniste de la chaux, ombres dionysiaques, couleurs avivant les seuils, les portes, les fenêtres. Des unes aux autres, vent dorien et soleil ionien, le contraste d’un isthme infime. Où la mémoire a su nimber d’ocelles le derme écru des murs.
Au cadran solaire des escales, les mâts sont aiguilles des vents, les coques alcôves des tempêtes. Mais là, souviens-t’en bien, en ce port calme et bleu, juste après le réveil des gorgones et des proues, tu vis pour la première fois bouger l’ombre des heures.

1980

Yggdrasil *

Je suis né d’un songe de la terre rêvant qu’elle s’unissait au ciel.

J’ai grandi dans l’ombre inquiète de racines toujours assoiffées d’obscur.

Et j’ai fleuri dans l’allégresse de la sève et l’offertoire des frondaisons.

Je suis l’axe du monde, vivant défi des temps carbonifères. L’alliance de l’ombre et de l’éclair, le tremplin des orages, l’esprit des sources et des souffles.

Je suis le sommeil et l’éveil, le silence et la symphonie.

Je suis l’oratoire des astres, et mes feuillages s’impatientent des apocalypses à venir.

J’abrite en mes branches l’aspic et l’alouette, l’ogre et l’océanide, le singe et la sylphide, le ver et la vestale.

J’abrite l’hier des fauves, les présent des oiseaux et le demain des hommes.

J’abrite le nid des anges et les couvées du ciel.

Je suis l’axe du monde.

* Yggdrasil est le nom donné par les anciens Germains au Frêne cosmique qui reliait le ciel et la terre. Il abritait en ses racines les divinités du destin, en ses branches toute l’humanité et en son sommeil le palais des dieux.

Seghers Laffont