Démêler l’écriture

Je n’arrive pas à démêler distinctement où commence et où finit dans l’écriture ce qu’on adresse aux autres, ce qu’on écrit pour soi. Et j’erre, hésite, tâtonne tout au long de ces fragiles fontanelles par lesquelles le réel adhère à nous-mêmes et qui si souvent disloquent. De toute façon, je n’aime guère les autobiographies, les mémoires ni les auto-dialogues. Je n’arrive pas à croire qu’on peut être soi-même source d’entière création. Pour moi, il n’est d’écriture que de partage et de savoir que fraternel. C’est à dire découvert, éprouvé et vécu en commun. L’écrivain d’aujourd’hui ne peut plus être ce Narcisse penché sur un miroir qui ne reflète que lui-même. Pas plus d’ailleurs qu’un héliotrope ou un tournesol perpétuellement dressé vers les étoiles – et donc aussi loin des hommes.
N’existe-t-il pas quelque part, sur cette planète ou sur une autre, une fleur qui ne regarde ni la terre ni le ciel mais soit tournée vers ses compagnes ? Une fleur qui vive à « hauteur de fleur » eut dit Marx s’il avait été botaniste ?
Si elle existe, cette fleur, alors, elle sera mon modèle, ma compagne, ma sœur. Si elle existe, celle-là sera d’emblée mon emblème et mon mythe. Si elle existe. Il ne nous reste plus qu’à la chercher.

Sourate du Caire

FOULE. Foules. Des foules. Des foules sans fin, des foules depuis toujours, depuis le premier camp de Fustat, la première mosquée d’Amr, depuis le premier conquérant et le premier zynaste. Chaque jour plus dense, cette foule, chaque jour plus foule, plus flâneuse, plus pressée, plus rêveuse, plus harassée. Foules du Caire.
Foule. Foules. Des foules. Mouvement brownien des particules d’hommes dans la chaleur et la sueur, odeurs, rumeurs, couleurs en foule, âges, races, vêtures en foule, vieux Cairotes à l’œil bleu sur le seuil de leur magasin, paysans enturbannés et boucanés de Haute Egypte, Nubiennes sveltes et droites, aussi noires, aussi élancées que l’ombre d’un minaret au crépuscule, enfants en grappes agripés à vos bras ou entassés sur des chariots, folâtres, insolents, insouciants, implorants, inventifs. Enfants du Caire.
La ville n’est pas surpeuplée, elle est congestionnée, thrombosée par cette foule pléthorique, pourtant paisible, presque placide malgré l’urgence de vivre. Il n’y a pas de ville plus légère malgré sa densité de misère, plus humaine malgré l’inhumanité du soleil, plus accueillante en son fourmillement. Une fourmilière tranquille, une poussière d’hommes savoureuse, une cohue débonnaire. Les rues du Caire.
Al Qahira. Mosquées du Caire où l’on flâne, où l’on rêve des heures entre les ruminations du Coran et les roucoulements des pigeons. Mosquées qui disent aussi le chapelet des noms vainqueurs. Ici, chaque conquérant fut aussi constructeur, chaque batailleur se mua en bâtisseur. Mosquées, madrassa, minarets, bâtisseurs de soleils et d’ombres, ces ombres qui disent les midis nocturnes de l’Égypte depuis les falaises de Deir al Bahari jusqu’au plateau du Muqattam, bâtisseurs des mosquées d’Amr, d’Ibn Touloun, d’al Azhar, d’al Guyushi, d’al Hakim, d’al Muayyad, bâtisseurs de clairières en la cohue des fourmilières/havres et haltes de pierres, de briques, de marbres, avec .ici et là, miroir ou défi, la sourate bleue des faïences. Ombres des portiques, encombrés de silhouettes allongées, endormies ou en méditation, dormant, pensant, rêvant, priant à même le sol, clairières d’hommes, repos du Temps, enclos coranique des mots. Mosquées du Caire.
Des jours et des jours j’ai marché, le visage contre la foule, mon regard contre les regards… Femmes du Caire, mêlées de désert, d’odeurs de maisons en pisé, coptes au regard insistant des portraits du Fayoum, Bédouines aux yeux brillants, juste dévoilés et si noirs qu’ils nous disent l’intouchable lisière de la nuit, voiles noirs brodés de sequins, ornés d’aubes incarnates, gallabeya blanches rayées de vert, de bleu, de jaune, vêtures d’insectes polychromes. Femmes du Caire.
La rue que je préférais pour marcher est celle qu’on nomme familièrement la rue des Fâtimides et qui va de Bab Zuweila jusqu’à la place al Azhar. En cette rue, partout bariolages d’odeurs, tissus géométriques, tentures battant au vent, ampoules multicolores d’une façade à l’autre, magasins, réduits minuscules comme les alvéoles d’une ruche toujours en train de bourdonner, ânes tirant une longue plate-forme surchargée de grumeaux humains, damiers intermittents des voiles noirs et turbans blancs, avec le rire zébré des gallabeya et partout l’odeur de cumin du Temps. Etre au cœur de la foule comme un poisson dans l’eau, se laisser porter, déporter par les rumeurs ou les appels ou les haltes imprévues pour déguster un verre de thé. Et partout, aux devantures des boutiques, entre les façades, au fond des cours que l’on devine à l’extrémité d’un couloir peuplé de fantômes assis, une débauche de polychromies, des palettes en plein vent. Besoin, comme autrefois sur les fresques des tombeaux antiques, de couleurs exubérantes, des eaux vives de l’arc-en-ciel. Besoin de parer la misère, la lèpre des murs, les déchets du temps. Besoin de ces tentures qui battent au vent, oriflammes exaltés de la mémoire fâtimide.
Et dès que l’on franchit le seuil du grand musée, sur la place al Tahrir, de nouveau foules, moins bruyantes, moins empressées, foules de bronze, de bois, de céramique, foule peinte ou sculptée, foule de statues, de colosses et de figurines, foules géantes de granit, foules minuscules d’onyx et d’albâtre, foules de défunts au corps usé, de chanteuses, de danseuses, de pleureuses funéraires pleurant leur propre mort, foule oushebti d’esclaves et de serviteurs brossant, lavant, nettoyant, récurant les terres de l’éternité, foule des morts entassés, pressés et compressés dans les tombeaux et les vitrines, foules, toujours foules depuis l’origine du Nil, âmes en foule attendant le jugement d’Osiris, foule des démons, des dragons, des monstres de l’Au-delà, foules à jamais figées dans les cortèges, les processions, les attentes, les queues sans fin dans les salles de Vérité. Foules mourant en foule, épidémie d’éternités.
Et dehors, le bruissement des papyrus de la place al Tahrir, le braiment des ânes sur la place Ramsès, pépiement des oiseaux, pépiements du Coran, dans le blanc insoutenable de midi. Foules ivres d’être, foules allant, venant, flânant, courant, bavardant, discutant, criant, hurlant, rêvant. Et méditant. Paisibles, presque placides malgré l’urgence de vivre.

Modernité

La modernité appartient à un cycle, alors que la mode n’en n’est qu’un moment. La vision réelle de la vie, c’est la totalité du cycle. La modernité c’est le long terme, qui a commencé avec le siècle, c’est un ensemble. La mode, qu’elle soit littéraire ou vestimentaire ne dure parfois qu’une saison. Dans notre société rien ne nous distingue, au contraire, tout porte à nous confondre parce que c’est une société du paraître et de l’apparence, et il n’y a rien de tel que la mode pour confondre le superficiel et le profond.

Le Voyage

Je le nommerai : voyage au ralenti, flânerie, musardise. Il consiste à visiter le plus lentement possible êtres et choses, fréquenter patiemment leur histoire, s’immiscer posément dans leur vie intime. »
Il permet de « se vider, se dénuder et, une fois vide et nu, s’emplir de saveurs et de savoirs nouveaux…
Se sentir chez soi dans la coquille des autres. Comme un bernard-l’hermite. Mais un bernard-l’hermite planétaire.

Démocratie

Nous sommes saturés de démocratie et pour cette raison même, on est en train de la tuer, ou tout au moins de l’affaiblir. C’est une source la démocratie, elle doit naître des gens qui sont concernés, donc se renouveler à chaque génération, évoluer sans cesse selon les conditions sociales. On emploie ce mot un peu comme on emploie le mot communion quand on est dans une église, or c’est souvent très factice. Je pense qu’il faut réinventer une façon de vivre la politique, non pas de la faire mais de la vivre, parce que la politique appartient à tout le monde, elle n’appartient pas uniquement aux politiciens. Notre santé aussi nous appartient, les médecins sont là pour la contrôler mais elle dépend tout autant de nous. La démocratie c’est pareil, c’est une santé collective qui dépend de chacun de nous.

La Marche

PAROLES POUR UN ETE – LA MARCHE

Le départ :
Demandez à quelqu’un de fermer les yeux et de dire spontanément, sans aucune réflexion, ce qu’évoque pour lui le mot “marche”. Le plus souvent, il répondra : sentier, soleil, vent, ciel, horizon, espace. Je me suis amusé à cette expérience et j’ai été surpris par ces réponses. Car “marche” pourrait évoquer aussi bien : pluie, tempête, sueur, fatigue, ampoule, cor aux pieds, entorse, chute, enlisement, engloutissement. Mais il semble que ces dernières associations — qui eussent été courantes aux siècles précédents — ne viennent plus à l’esprit aujourd’hui. Comme si le seul mot de marche libérait des rêves inexprimés ou non vécus, des besoins d’espace et d’horizon, et surtout des désirs de liberté, d’imprévu, d’aventure?

L’errance :
??Ce monde de l’errance n’est jamais mort, ni en nous, ni autour de nous. Qu’il ait ou non un but et des repères précis — dans les pèlerinages ou les déplacements des compagnons — ou des repères imprécis — chez les missionnaires, les frères prêcheurs, les métiers ambulants d’autrefois — il n’a cessé au cours des siècles de fasciner ou d’horrifier, d’inspirer la crainte ou l’admiration. L’histoire fondamentale des rapports très complexes entretenus entre les sédentaires et les nomades, cette histoire reste encore à faire. On l’a entreprise pour des époques ou des lieux limités, mais jamais dans une perspective d’ensemble qui en dégagerait les axes, les courants, les jalons. Car tour à tour chassé, repoussé, excommunié ou, au contraire, fêté, recherché, imploré, l’errant apportait avec lui, selon les mentalités, les besoins des différentes communautés, un monde de damnation ou un monde de salut. Les routes, les chemins, les sentiers parcourant la France ont ouvert les portes de l’enfer ou celles du paradis. Ils furent sur notre terre comme les infrastructures de l’amour ou de la haine, les voies qui amenaient le frère ou l’ennemi. Et aujourd’hui rien de cela n’est mort. Notre société hyperurbanisée semble consacrer à jamais la victoire des sédentaires. Elle recèle pourtant, plus que jamais, ces ferments qui nous portent à bouger, à partir. Peu importe les motivations. On ne part plus sur les routes pour prêcher ou faire son salut, pour conquérir quelque graal au cœur des châteaux forts. Mais l’image n’est pas morte — bien qu’elle soit caricaturale aujourd’hui — des paradis promis et trouvés par le départ et par l’errance… On n’accepte moins le vagabond, le solitaire marchant pour son plaisir en dehors des sentiers battus. Le plus révélateur pour moi, dans ce voyage de quelques mois, fut justement l’étonnement, l’incertitude, et surtout la méfiance que je lisais sur maints visages. Ne fût-ce qu’à l’égard de soi-même, une telle entreprise est donc édifiante et même nécessaire. Affronter l’imprévu quotidien des rencontres, c’est rechercher une autre image de soi chez les autres, briser les cadres et les routines des mondes familiers, c’est se faire autre et, d’une certaine façon, renaître. La lassitude, le découragement, le sentiment d’absurdité ou d’inutilité de l’entreprise, qui vous prennent quelquefois aux heures difficiles ou mornes de la marche, deviennent autant d’épreuves, qui n’ont d’ailleurs rien de tragique. De plus en plus, ceux qui réclament autre chose que le visage artificiel des villes, les rapports routiniers, conventionnels de nos cités, iront cherché sur les routes ce qui leur manque ailleurs. Et en ce jour plein de soleil, où j’aborde le Gévaudan, je me dis qu’en marchant ainsi, on ne recherche pas que des joies archaïques ou des heures privilégiées, on ne fait pas qu’errer dans le labyrinthe des chemins embrouillés qui nous ramèneraient à nous-même, mais qu’au contraire on découvre les autres et, avec eux, cette Ariane invisible qui vous attend au terme du chemin. Marcher ainsi de nos jours — et surtout de nos jours — ce n’est pas revenir aux temps néolithiques, mais bien plutôt être prophète. Le temps :??Ce que j’ai redécouvert en marchant, ce ne sont pas seulement ces rencontres chaque jour différentes, ces visages inconnus qui deviennent si vite familiers, ces réponses de plus en plus sensibles à mon attente, ce sont les heures du jour, vécues tout autrement qu’à Paris. Levé de bonne heure avec le soleil, disons même dès potron minet, couché tôt le soir, dans le hasard des crépuscules, je vis au rythme des saisons. Chaque aube est nouvelle pour moi, puisque je sais que le jour sera fait de nouvelles rencontres. Et chaque heure est changeante qui me révèle de nouveaux paysages, de nouvelles lumières et, sur la bouche de ceux qui me parlent, des mots nouveaux et souvent insolites. Marcher ainsi engendre peu à peu, dans les rapports humains, dans le regard qu’on porte aux moindres choses et surtout à l’égard du temps, un affranchissement, une disponibilité singulière qu’on ne peut soupçonner sans la vivre soi-même. Il m’a fallu des semaines et des semaines, une fois de retour à Paris, pour me faire à un autre temps, un autre rythme, pour me réhabituer à ne plus rencontrer les autres — amis ou inconnus — que par des rendez-vous. Le mot, je m’en avise, a tout d’un ultimatum. J’ai toujours eu une résistance viscérale aux rendez-vous (n’aimant que les rencontres inopinées, les arrivées à l’improviste) et ce voyage en France n’a rien fait pour arranger les choses. Car à tout ce qu’il m’a donné, à ce qu’il a fait sourdre par lui-même — les itinéraires choisis librement sur la carte, l’errance improvisée sur le grand portulan des chemins, le miracle de tous les imprévus — il faut ajouter cette libération de temps comme si les heures, échappées du morne sablier des rendez-vous et des calendriers, prenaient une substance, une épaisseur qui leur soient propres.?

La marche intérieure :??
Pendant des centaines de kilomètres, on est contraint de suivre le fil d’un seul chemin.Peut-être si j’avais, à tel moment, pris tel chemin et non tel autre, aurais-je croisé un vagabond sympathique, longé une église historique, traversé un village accueillant. Mais on ne vit pas sur les chemins avec ce qu’on aurait pu faire. Faute de pouvoir se dédoubler, il faut se contenter de suivre une seule voie et se dire que c’est elle — elle seule — qui vous livrera les clefs de vos rencontres. On choisit un chemin et non les choses à voir, puisque c’est lui qui vous mène (ou ne vous mène pas) vers l’insipide ou le merveilleux. Ce faisant, on éprouve malgré tout le sentiment non d’un désir perpétuellement inassouvi (celui de toutes les choses qu’on pourrait voir sur les autres chemins) mais au contraire d’une sorte de plénitude, d’une nécessité à la fois inéluctable et nourricière, puisqu’elle seule constitue pendant des jours, des semaines ou des mois, au fil de votre route, le fil même de votre vie.??

Identité culturelle

…La recherche de l’identité culturelle – qui est aujourd’hui la grande préoccupation des minorités et des anciens peuples colonisés – n’est pas du tout une recherche archaïque. Il n’y a rien d’archaïque dans le fait de vouloir comprendre qui l’ on est. Il s’agit d’un problème qui, de tout temps, fut d’actualité. En revanche, je crois que la rencontre, la solidarité, l’alliance ou l’union des peuples, ou des nations, ou des états, ou des communautés, quelles qu’elles soient, ne peut se réaliser sans le respect de leurs particularités respectives et non par le nivellement. On ne peut augmenter sa puissance en renonçant à sa personnalité. Le fait de connaître ses racines, qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe, ne veut pas dire que l’on recule, que l’on s’éloigne du présent, cela veut dire au contraire – pour rester dans la métaphore botanique – savoir quelles feuilles pousseront sur les branches.

Desmos, n° 27, 2007

Passage de millénaire

Des cauchemars ou des rêves, j’en ai et ils ne vont pas se manifester davantage à cause d’un symbolique passage de millénaire.

Dans la série des craintes, disons que je crois moins aujourd’hui à un danger atomique qu’à un danger génétique. Les vraies menaces me semblent être venues de ce pouvoir exorbitant que nous nous sommes octroyé de modifier la structure interne des êtres. C’est un pouvoir faustien par excellence : si le diable, si Satan existait, il ferait des clones aujourd’hui. Ce serait vraiment la dérision de la création, si l’on veut se placer d’un point de vue théologique, puisque c’est la reproduction à l’infini, de façon répétitive et industrielle, d’un être qui, par définition ne devrait pas être. Chaque être humain est, doit être, unique ­ du moins sur ce plan de la création ­ et le clone est sa négation absolue : le clonage s’avère en cela satanique. On va m’objecter des raisons scientifiques : je dirais qu’à ce niveau-là on fait encore une de ces expériences dont on ne sait strictement rien de ce qu’elle va donner sur l’homme, ce qui s’avère d’autant plus grave que l’on touche les fondements mêmes de la vie. Voilà donc ce qui me semble mettre le plus en question le sens même de notre existence. Dans la nature, seuls les organismes unicellulaires se reproduisent à répétition : alors, faut-il qu’au terme d’une évolution millénaire on redevienne un bourgeon pensant ? Tout le système social et familial va se trouver remis en question. C’est peut-être la seule invention qui rassemble toutes les terreurs de la science fiction de ce siècle, Orwell et Huxley en tête.

Ma vision positive inverse ce postulat et pose la question de l’utilisation de nos formidables moyens : on a en effet tous les moyens pour agir de façon plus intelligente pour le bien de l’humanité. Pourquoi ne le fait-on pas ?

Mon rêve essentiel et qui n’a rien de secret, puisque je le répète sans cesse aux collégiens et lycéens que je rencontre dans des classes où j’interviens en conférence, c’est que l’être humain prenne conscience que la Terre est un être vivant à qui nous faisons subir des dommages de plus en plus irrémédiables. Il faut faire sentir notre appartenance vitale et viscérale à la Terre.

Les lieux sources :

Il y a ceux qu’on découvre et ceux qu’on construit. Pendant longtemps, la forêt a été mon lieu idéal de ressourcement. Puis je me suis construit un lieu de méditation dans mon grenier où je me retire tout en me sentant relié à l’univers. Mais je trouve que les choses prennent plus de sens encore dans les méditations collectives : dans le silence ensemble, qui augmente la concentration intérieure. On multiplie ses sens, et l’essence, avec les autres.

Mon icône :

Cette miniature du Sanctae hildegardis Revelartiones de Hildegarde de Bingen avec ce commentaire :  » L’homme a de la terre, la chair ; de l’eau, le sang ; de l’air, le souffle ; du feu, la chaleur. Sa tête est ronde à la manière de la sphère céleste. Ses yeux brillent comme les deux luminaires du ciel. Sept orifices le décorent, harmonieux comme les sept ciels. La poitrine, où se situent le souffle et la toux, ressemble à l’air où se forment les vents et les tempêtes. Le ventre reçoit tous les liquides, comme la mer tous les fleuves. Les pieds portent le poids du corps, comme la terre. L’homme tient la vue du feu céleste, l’ouïe de l’air supérieur, l’odorat de l’air inférieur, de l’eau le goût, de la terre le toucher. Il participe à la dureté de la pierre par ses os, à la force des arbres par ses ongles, à la beauté des plantes par ses cheveux  » (Honorius d’Autun, Elucidarium).

Livres :

Le seul livre que j’avais emporté lorsque j’étais parti tout seul à pied, quatre, cinq mois durant, à travers la France, était La Divine Comédie de Dante dans la collection  » La Pléiade « , parce qu’elle ne tenait pas de place. Je l’ai abandonnée au bout de huit jours parce que tout ce que je voyais était dix fois plus important que n’importe quel livre. Les livres, on les retrouve toujours, mais les gens que je rencontrais chaque soir dans un village, je ne les reverrai jamais.

Musiques :

Celle des anges.

Symbole

 » Il y a deux sortes de symbole : les individuels et les collectifs. Une hostie est un symbole collectif : bien que ce ne soit qu’un peu de farine vaguement mêlé de sel et d’eau, c’est bien autre chose : mais ça n’aurait aucun sens si ça n’était dit que par une personne seule, ça n’aurait pas d’influence. Moi, je m’intéresse davantage aux symboles personnels, à quelque chose de déterminant dans une vie singulière et qui ne peut pas changer.  »
…Mon symbole, c’est Icare : l’homme qui prend des ailes et s’élève au-dessus de sa condition et de la terre, avec tous les risques que cela comporte. C’est l’homme qui veut devenir oiseau, changeant à la fois de règne, de condition, d’élément, et acquiert, par ses ailes, une nouvelle identité. Vous me direz que c’est un mythe, mais les mythes sont faits de symboles. Cela dit, sur un plan plus personnel, le symbole reste pour moi l’identité, pas la transformation. Ce sont donc deux approches qui se contredisent. Si l’on évolue, si l’on s’initie, on se transforme : on n’est donc plus reconnaissable intégralement – Platon cite les ailes comme symbole du mouvement, de la transformation. Alors que le symbole, à l’origine, est là pour m’aider à me reconnaître, hors du temps, archétypal, fixe. »
(Entretien pour Nouvelles clés)

Le patrimoine littéraire

Un patrimoine littéraire, ce ne sont pas des mots embaumés dans des pages ni des images momifiées en des nécropoles livresques mais le contraire : une source toujours vivante qui continue de couler jusqu’à nous, de refléter nos besoins et nos rêves, qui continue en somme d’alimenter notre présent. Car nous appartenons au même fleuve que ceux qui nous ont précédé sur ses rives et ce sont leurs voix, leurs mots, leurs idées, leurs images que nous surprenons en son cours. Un patrimoine, c’est ce qui sourd de la terre pour ensuite traverser les siècles comme une mémoire qui murmure. Un vrai livre ne meurt jamais. Tout au plus hiberne-t-il dans le temps et il ne dépend que de nous de lui redonner souffle et voix par la lecture vivifiante que nous pouvons en faire. Tel est le miracle des livres : resserrer ou abolir le temps en restituant intacte la parole du plus ancien passé. Depuis Homère, nous le savons, les livres, les vrais livres ont tous été écrits hier.