Veillées en Cévennes

Il y a toujours quelque chose d’artificiel à vouloir retrouver ou recréer ce qui meurt de sa belle mort, comme on dit. Ainsi des veillées d’autrefois où les villageois se réunissaient à l’occasion d’un travail en commun pour écouter conteurs et chanteurs. Mais quelquefois ces tentatives s’avèrent fructueuses. Ainsi, au cours de l’automne et de l’hiver derniers, avec quelques amis dont le poète Kenneth White, Roger Boutefeu (ancien berger devenu écrivain), le poète Gil Jouanard, Michel Fontayne, berger, et les musiciens du groupe de Sauveterre, ai-je participé à des veillées traditionnelles sur le thème de la transhumance. Elles eurent lieu à Villeneuve-lez-Avignon, à Uzès et Alès. Chacun de nous intervenait librement pour dire un poème ou un texte, réfléchir à haute voix sur la transhumance, répondre au dialogue qui très vite s’instaura et surtout, laisser la parole à tous ceux qui étaient venus moins pour écouter que pour parler de ce qu’ils savaient. Des bergers notamment qui ont raconté leur vie, expliqué les problèmes actuels de la transhumance, fait revivre un monde qu’on croit mort ou moribond et qui pourtant existe encore.

Là, je crois, réside l’essentiel de ces tentatives : non pas communiquer un texte ou un savoir, mais susciter la réponse et la parole des autres, et retrouver pour un soir ce qui liait autrefois les membres d’une corporation ou d’un village. Rien, donc, d’un débat savant, d’un colloque entre spécialistes mais une libre rencontre où d’emblée la mémoire et l’expérience de chacun rejoignaient ou côtoyaient celles des autres. Pour la première fois, à ma connaissance, des bergers ont écouté la parole des poètes et les poètes celle des bergers. Toutes deux se révélèrent vite riches d’images — souvent proches —puisque ce mot de transhumance (cette quête d’un autre humus) porte en lui le grand voyage des rêves et des mots autant que celui des traditions et des troupeaux. Deux mondes que notre époque a séparés et qui, pour un soir, se sont spontanément retrouvés.

Jacques Lacarrière.

Texte écrit pour le Bulletin de Terre Humaine

Veillées organisées par le CIRCA (Centre d’Animation, de Recherche et de Création) de la Chartreuse de Villeneuve-Lez-Avignon qui a également proposé cet été une exposition sur la transhumance et un Voyage au pays de la laine.