Lapidaire pour soprano, ténor, basse et orchestre

Poèmes extraits du recueil Lapidaire de Jacques Lacarrière

Le Lapidaire : « au Moyen-Âge, poésie didactique traitant des propriétés des pierres précieuses. »

La pierre, précieuse ou non, réceptacle d’une mémoire sans âge dans laquelle nous projetons une multitude de sensations, nous renvoie à une conscience d’être dans le rapport entre le temps du monde et celui de l’expérience humaine, succession d’instants éternellement recommencée.

La musique, que je voudrais avant tout émouvante, conjugue ces deux idées du temps. Absence de toute tentative de narration, de tout discours psychologique, de tout regard sur soi, mais prolifération d’incises, de rythmes, d’intervalles porteurs de sens, de modes à modulation continue, de contractions et dilatations de la pulsation, d’agrégations sonores libérées de toute référence à une technique rédactionnelle précise, formant une complexité évoquant celle du monde minéral.

La voix, par ses métamorphoses, creuse des glyphes dans le tissu orchestral, la récitante nous fait, quant à elle, vivre l’immense poésie de ces textes.

Le recueil de poèmes, Lapidaire, de Jacques Lacarrière, a cette faculté extraordinaire de nous donner l’illusion de participer de la nature dans sa globalité, en nous faisant découvrir comment les pierres portent les stigmates d’un temps cosmique, les signes de l’histoire du monde. Lente transformation géologique, avec ses secousses, ses déchirements, ses violences et ses beautés toujours renouvelées, de la gangue au cristal, de l’amorphe à la perfection géométrique, des ténèbres à la lumière, de l’opaque au diaphane, image grandiose, patiente, terrifiante ou réconfortante, d’une téléologie peut-être lumineuse.

Écrite pour la tessiture hors du commun d’une basse-sopraniste, cette œuvre peut aussi être exécutée par un soprano dramatique, un ténor lyrique et une basse, les trois voix se répartissant la partie vocale d’origine.

Michel Sendrez


HERCYNITE
J’aime ton mot de nuit et ton nom
d’avant l’homme quand, infante, la terre
s’apprêta aux sacres des volcans.
Pavane des soleils. Cantates des calcaires.
En toi dort et attend, chrysalide, le temps.

HERTZINITA
Maite dut zure gau hitza
eta gizonaren aitzineko zure izena,
Lurra, infantea, sumendietako
sakreetarako apailatu zenean.
Eguzkien pabana. Kareharrien kantatak.
Krisalida bezala, zure baitan lo eta
aiduru dago, denbora.

TANTALITE
Il te fallait ce nom de nuit, ce nom primal
et ce geste au désir des cristaux.
Ce nom qui dit la faim figée des gemmes.
Et leur soif de lumière absente.
De soleil clos.

TANTALITEA
Gau izen hori behar zenuen, hastapeneko
izen hori
kristalen desioari geldirik doakion jestu
hori.
Harribitxien gose izoztua derasan izena.
Eta haïen argigabearen egarria. Eguzki
hetsiarena.

HEMATITE
Parcelle refroidie du premier monde.
Pupille de l’ancien des siècles.
Détient, retient toujours en elle,
le ciel noir d’avant la création du jour.

HEMATITEA
Lehen munduaren lursail hoztua.
Mendeetako behialakoaren umezurtza.
Edukitzen du, beti bere baitan gordetzen,
Egunsentiaren aitzineko zeru beltza.

RUTILE
Sang séché. Fièvre figée du feu.
Gisant des clairs filons où ton destin s’éploie.
Oui. Gisant aux mains jointes des ères.
Toi, le glas du soleil, le tocsin des calcaires.

ERRUTILOA
Odol lehortua. Suaren sukar hormatua.
Zure halabehatra hedatuz doan
zain gardenetarik datza.
Bai, Aroen esku bilduetaraino datza.
Zu, eguzkiaren hil zeinu, karcharrien
deiadar,

AMIANTE
Vestale des brasiers, amante des fournaises,
tu rafraichis le cœur des plus chaudes étoiles.
Vêture inadurante des âmes
où couvent encore les cendres des voyants.

AMIANTOA
Su bizien Zaindari aratza, labetegien
amorantea
freskatzen duzu izar beroenen bihotza,
arimen bestimendu gar eta su gabekoa
zara,
non igarleen hautsak oraino kaïdan baitira.

AGATE
Sur les yeux clos des ères, les cernes de la terre.
Remords du feu. Pleurs et fleurs des silices
aux calices des laves.
Méandres de la mémoire éteinte des volcans.
Ocelles. Ocelles irisés.
Du temps qui nous regarde.

AGATA
Aroen begi hetsien gainemn, lurraren
betondoak.
Suaren urrikiak, Laben suamuetan
mugerren negar eta loreak.
Garmendien oroitmen itzaliaren
Inguru-minguruak.
Begi-orbanak.
Begi-orban hortzadartuak.
Behatzen gaituen denborarenak