Une dernière rencontre

Par NANOS VALAORITIS

Pour nous en Grèce, Jacques Lacarrière était le lien qui nous rattachait au monde des lettres françaises et il était le dernier des grands écrivains qui se soit intéressé à notre langue, notre littérature, notre société ; aux gens simples comme aux intellectuels et écrivains. L’Eté grec a marqué son époque. Il initiait les Français d’après-guerre à une Grèce qui émergeait des épreuves douloureuses de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre civile. Il a su donner un ton élevé et gai à un pays blessé, un ton qui caractérise d’ailleurs sa prose la plus lyrique. 

C’était l’époque où trois auteurs grecs venaient d’être reconnus : Kazantzaki, Cavafis et Séféris. Jacques n’était pas un auteur du circuit commercial. Il recherchait toujours les thèmes cachés, inconnus du grand public, comme les Gnostiques, il s’était également intéressé au soufisme dans La Poussière du monde, sans parler de ce livre extraordinaire, Le Pays sous l’écorce, qui n’a pas été traduit en grec. Dans un très beau livre sur les ailes et leur rôle dans l’imaginaire, on trouve la référence à Icare et à sa chute, devenu le titre d’un recueil poétique traduit en grec et qui, d’une certaine façon, annonce sa propre chute inattendue. 

Cette soirée à Tinos, il a lu en grec un poème de ce recueil, et comme je faisais référence au rébétiko, il se mit à en lire quelques petits vers qu’il avait écrits.
Je me souviens aussi d’un moment lointain où il avait pris des photos admirables de Maria, ma femme, avec une colombe sur la tête, un été où nous avions rendu visite à Spatharis, le montreur d’ombres, les Karaghiozis. Son intérêt pour notre culture populaire se retrouve dans toute son œuvre. C’est une chance que nous ayons passé ensemble ces trois jours merveilleux à Tinos, et j’imagine qu’il s’en est particulièrement réjoui. Je le vois voler avec les ailes d’Icare sur le chemin du soleil, et comme dit Rimbaud : « Elle est retrouvée, Quoi ? L’Eternité. C’est la mer allée avec le soleil. 

Le soleil que nous voyons briller, argenté au-dessus de la mer, et qui nous donne le sentiment de l’éternité. L’esprit de Jacques, plus vivant que jamais et tellement unique, demeure parmi nous. 

NANOS VALAORITIS 

(Extrait du témoignage de ce poète et écrivain, paru en 2007 dans la revue Desmos)