Jacques Lacarrière au Jardin des Plantes

Jacques Lacarrière et ses Natures
Mercredi 11 avril de 14h à 15h,

Au Jardin des plantes
amphithéâtre d’Anatomie comparée et Paléontologie,
place Valhubert
(entrée vers le mammouth).
75005 Paris
Métro lignes 5 et 10

L’écrivain Jacques Lacarrière a défendu un humanisme naturaliste qui le portait à regarder à travers les grilles du Jardin des Plantes, quand il n’était pas dans les îles grecques à mettre ses pas dans les pas de Tournefort. Aussi sera-t-il bienvenu en esprit dans le séminaire d’Antropozoologie du Muséum, où sera présenté Natures, livre fait de textes se rapportant au sujet, édité comme cahier n°3 de Chemins faisant.
François Poplin
Dans ce volume, les « Natures » de Jacques Lacarrière, multiformes, complexes, évidentes ou mystérieuses, étrangères ou familières. Préservées ou profanées.
On y trouve aussi un essai sur Maître Renart, on y croise le crapaud et son chant, la libellule, le serpent, etc. – Où il nous avoue un faible pour Félix le chat.

On éprouve souvent dans sa vie la nostalgie d’un ailleurs où vous attendraient – sans qu’on le sache ou le soupçonne – des joies mystérieuses et souveraines. L’Anguille, elle, incarne cette nostalgie et cet Ailleurs. Elle est la voyageuse de l’amour, l’Ariane qui me guide dans les labyrinthes de l’Océan. Et je suis toujours fidèle à Ariane.

Présentation François Poplin. Lectures, Gil Jouanard, Françoise Huart, Sylvia Lipa-Lacarrière.

Dans La Forêt des Songes

Le dernier livre de Jacques Lacarrière se passait… « Dans la forêt des songes »…

 » Bien que né sous le signe du Sagittaire, je n’ai jamais jusqu’à ce jour enfourché le moindre cheval ni revêtu la moindre armure pour défier en tournoi singulier quelque insolent rival. Si gente dame il m’est arrivé dans ma vie de conquérir de haute lutte, ce fut toujours sans cheval ni armure, ni pourfendeuse lance. Voilà qui devrait m’interdire ou du moins me décourager de me lancer en une époque comme la nôtre dans l’écriture d’un récit ou un roman de chevalerie. Je m’y hasarde cependant en précisant seulement que pour les raisons susdites, on ne trouvera dans ce livre ni cheval ni armure ni haume ni épée ni tournoi ni non plus d’insolent rival. Par contre, on y verra des vierges sages et d’autres folles, des monstres singuliers et des aventuriers, des grands veneurs et des stylites et même des hermaphrodites. Il y aura aussi des mandragores, des demoiselles de Numidie, peut-être même des tétras lyre et, sans doute, des arbres qui parlent. Et, enfin et surtout, une forêt, une vraie forêt qui s’étale, frissonne et murmure à deux pas de mon village et qu’on nomme Forêt d’Orient.

C’est à l’orée de cette forêt qu’Ancelot – chevalier sans cheval, paladin sans armure, pèlerin sans équipage – rencontre Thoustra, un perroquet ara, curieux de tout et légèrement dyslexique, avec lequel il va cheminer et croiser des êtres, figures, fantômes ou personnages surgis de différentes époques : un stylite sur sa colonne, une grue cendrée et bègue, le Grand Veneur d’une chasse fantastique, une ondine nymphomane, un androgyne transsexuel, une mère porteuse et vierge, et bien d’autres encore.

Une fable qui réinvente les chemins des chevaliers d’antan pour les situer au coeur du monde d’aujourd’hui.

Paris, Nil éditions, octobre 2005.

Une heure avec… Sylvia Lipa Lacarrière

Les Amis de la Bibliothèque municipale de Dijon vous invitent à la lecture de poèmes et textes de Jacques Lacarrière dans le cadre de : « Une heure avec… ».

Madame Sylvia Lipa Lacarrière, comédienne, épouse du grand écrivain, a bien voulu faire cette lecture alors que sort « A l’orée du pays fertile » (éditions Seghers), l’édition de l’oeuvre poétique complète de Jacques Lacarrière.

A l’occasion de cette lecture seront présentés au public des ouvrages de l’écrivain conservés à la Bibliothèque.

Jeudi 5 avril 2012 à 17h30
Bibliothèque municipale
Salle de l’Académie
5, rue de l’Ecole de Droit
(Porte H)

Témoignage de Daniel-Henri VINCENT :

J’ai eu la chance de rencontrer Jacques Lacarrière il y a une trentaine d’années.
Tout de suite il m’a semblé le connaître et le reconnaître. Un peu comme un Colas Breugnon, bon garçon, Bourguignon aux attaches icaunaises quoique né Limougeaud en 1925, rond de façons et de bedon, chaleureux comme on sait l’être en Bourgogne, avec la cordialité juste retenue, franche, souriante et pudique.
Jacques Lacarrière a eu l’enfance Orléanaise, et connut le tournant de la guerre, ce temps terrible où, selon son expression, « Les saules ne sont pas les seuls à pleurer ». Il se souvenait du « jardin de la rue du Parc », à Orléans, et de son tilleul où il se réfugiait, avec « des désirs de Loire » et « des parfums de Sologne1 » comme il le raconte dans Un jardin pour mémoire paru en 1999.
Puis ce furent les études à Paris, lettres classiques à la Sorbonne, droit et langues orientales. Il abandonna l’enseignement avant même de l’avoir commencé et se dit un jour : « Reste maintenant à découvrir le monde2 ». Parti pour l’Inde, il s’arrêta en Grèce où il multiplia les séjours, puis la Crète, le mont Athos, le monde antique et sa mythologie donnant en 1976 son ouvrage le plus célèbre, L’Été grec, au genre résolument nouveau « qui tenait de l’essai, du carnet de route, du poème en prose improvisé au rythme de la marche et du récit libéré de tous les codes formels3 » selon un critique du Monde. À défaut de pouvoir écouter Jacques Lacarrière dire son Été Grec, tel Hérodote sous les portiques de l’Agora d’Athènes, c’est sa voix qu’il faut s’efforcer d’entendre en le lisant car c’était un conteur, j’en témoigne. Il a dit merveilles à la DRAC au début des années quatre-vingt dans le cycle que nous avions organisé avec notamment Jean-Pierre Chabrol, Per-Jakez Hélias et Bernard Clavel.
Amoureux de la langue grecque, il traduisait aussi bien Sophocle (Antigone, par exemple) que les poètes grecs contemporains – tels Yannis Ritsos, Georges Séféris et bien d’autres – donnant ce magnifique spectacle, le Chant profond de la Grèce créé en français au Centre d’action culturelle du Creusot en 1982 avec, parmi les comédiens, Sylvia Lipa. Quelques uns s’en souviennent encore, à l’ombre du marteau-pilon ! Jacques Lacarrière, poète, écrivain, était aussi metteur en scène qui avait débuté, si je ne me trompe, avec l’Ajax de Sophocle au début des années soixante. Et Sylvia, avec Jean-Paul Roussillon, à la Comédie française dans Œdipe-Roi. Jacques et Sylvia étaient faits pour se rencontrer.
Jacques Lacarrière était à l’instar de Léon-Paul Fargue à Paris, le piéton du monde – principalement du monde méditerranéen, Grèce, Égypte, Syrie antiques et modernes, car il se sentait « enfant du soleil, de la chaleur, des pierres sèches et brûlées, de la mer tiède. 4» Il fut aussi, avec la maturité qui lui vint, fondamentalement, nécessairement, piéton de France. Il a tracé, Chemin faisant, la mémoire des routes – c’est le titre de la postface aux lecteurs de son ouvrage paru en 1977 – des Vosges au Roussillon. Non une divagation comme le dit l’éditeur, plutôt une sorte de pèlerinage intérieur de saint Jacques où seule l’anecdote est de hasard car la rencontre – avec la nature, les gens, l’histoire… – est nécessité. Et d’abord ce petit coin de Bourgogne, Sacy, qu’il retrouve, « minuscule finage entre quatre vallées, entre la Cure et le Serein » où, parmi les vignes, les forêts, les pierre jaunes et tendres, un jour, le sourire d’un vieillard qui l’a reconnu « après tant d’années de voyages et d’absence » lui a ouvert « toutes grandes les portes d’une enfance oubliée. 5» Et je peux vous dire que Jacques Lacarrière était heureux à Sacy et qu’il faisait partager son bonheur, généreusement, à tous ceux qu’il recevait, à ses amis.
Il partit pour mieux revenir, dans Chemin faisant comme dans la réalité, d’abord vers le Morvan, rude contrée, pour y trouver de rude gens que Jean-Marc Tingaud sut révéler derrière son objectif et qu’on a vu dans un bel ouvrage publié au Chêne. En Bourgogne, le cadre ordinaire de sa vie personnelle notamment depuis son mariage avec Sylvia Lipa en 1979, Jacques Lacarrière avait tissé un réseau d’amitiés qui faisait de lui un acteur discret, mais engagé, de la vie culturelle régionale – je pense, parmi d’autres aventures, à Tendre boucheries, avec l’Agence nationale de création rurale de Daniel Meiller en 1984-85, à laquelle Sylvia a participé activement. C’est toujours l’amitié en résonnance avec les lieux où souffle l’esprit (je saute dans le temps), qui lui fit écrire cette belle Lettre à Julius que Sylvia lut sous les voûtes de la Madeleine de Vézelay à l’occasion de la mort de Jules Roy en 2000.
Avec Marie d’Égypte, son premier roman en 1983, on peut évoquer, après la Grèce et la nature, le troisième versant de l’œuvre de Jacques Lacarrière dont Les Gnostiques et Les Hommes ivres de Dieu marquent, après Le Mont Athos, les premières méditations. Celles qui lui ont fait chercher quelque chose qui a à voir avec l’Infini, la Vérité et la Voie Lactée chère à Julius…
Jacques Lacarrière se résume ainsi dans ses Sourates : « La vie et l’écriture. L’amour et l’écriture. L’ailleurs et l’écriture. » Un grand écrivain, un poète subtil. Il s’est volontairement tenu à l’écart de ce que Roger Gouze appelait « le bazar des lettres ». Et n’en mérite que mieux, car il ne l’a nullement recherché, l’honneur que lui fit l’Académie française en lui attribuant son Grand prix pour l’ensemble de son œuvre en 1991. Cigale, il sut vivre de peu. Toute sa richesse d’humaniste libertaire était dans l’amour et l’amitié. Comme dans le verger et le potager de sa maison de Sacy, il a cultivé avec foi et générosité un jardin littéraire d’hérétique.
Nous allons le retrouver ce soir avec les textes que Sylvia Lipa-Lacarrière va nous donner, tirés de Natures et d’un ouvrage posthume, À l’orée du pays fertile, cinquante ans de « poèmes hors saison, des poèmes oraison », une anthologie qu’il avait conçue avant son dernier départ en 2005.

Daniel-Henri VINCENT
5 avril 2012

Exposition de Charlotte J. Charlot

Assolements l’Ame Enchantée Du samedi 2 au vendredi 29 juin Vernissage samedi 9 juin à 18h Lecture d’extraits du livre de Jacques Lacarrière Natures

Avec Guilène Ferré, Gil Jouanard, Sylvia Lipa-Lacarrière

11 rue St Etienne
89450 Vézelay
03 86 32 38 38

Ouvert tous les jours sauf le lundi : 10h -13h – 14h30 – 18h30

Touffes de langage ponctuations d’abeilles :
Le printemps grammairien conjugue les corolles.
Herbes et verbes s’épellent aux phonèmes des vents.
Sur le cahier du ciel des virgules d’oiseaux. Charlotte au pays des merveilles

Toile de fond de la chorégraphie planétaire, qui a fait de son animal favori, le ci-devant « être humain », son « premier sujet », la nature a tardé à remonter sur le devant de la scène iconographique. Les vieux Chinois de la haute époque lui avaient, en précurseurs très avancés, reconnu le statut que nos peintres « occidentaux » tardèrent à lui concéder.
Cela commença avec les primitifs italiens du Trecento et du Quattrocento, qui la firent, sinon remonter à la surface, du moins exister dans des arrière-plans sans cesse plus insistants. Puis vinrent étonnamment ces peintres flamands et hollandais, paradoxalement natifs de la société la plus « bourgeoise » des XVe et XVIe siècles, enchâssés dans un univers de boutiquiers, de drapiers, de négociants et d’usuriers, mais (est-ce par réaction vis-à-vis d’autant de mesquinerie ou du moins de pragmatisme ?) brusquement fascinés par ce que nous appelons aujourd’hui l’environnement.
Quand Bruegel peint la chute d’Icare, le mégalomane farfelu et suicidaire n’est plus qu’un « plouf », ignoré même se son « frère humain » qui lui survivra et, présentement, laboure un champ nourricier et si possible un peu lucratif. L’un et l’autre s’effacent, au sens propre pour l’un, au figuré pour l’autre, devant l’énorme, colossale et cependant délicate sérénité de ce que les humains d’autrefois transformèrent en « paysage », pour l’exploiter (car c’est au Néolithique que la nature sans entraves, cédant ses parts d’autonomie, se laissa domestiquer, comme un vulgaire auroch, comme un cheval qu’on eût cru indomptable ou comme un loup « caninisé »).
Ainsi le paysage entra dans notre conscience non plus seulement de façon machinale et négligente, mais appétissante autant que symbolique, au point d’accéder, dans l’art de la figuration picturale, au rang de « sujet », encore en retrait vis-à-vis des fantasmes religieux et de l’exhibitionnisme historique, ou encore de cette « figure humaine » qui, sacralisée ou couronnée, écrasa durablement le marché.
D’emblée les artistes accommodèrent leur regard et, selon le principe géo-optique du zoom, optèrent les uns pour le panorama ou la vue d’ensemble, les autres pour l’infime détail promu au grade de sujet principal, voire même unique.
Ici, la Lorraine ou la Toscane se mirent à occuper l’intégralité de l’espace circonscrit par la toile de lin tendue et clouée sur ses bords. Ce fut Claude Gellée, Friedrich, Gainsborough, Corot, là ce fut Chardin, Vermeer, Monet, Cézanne.
Charlotte Charlot se tient à mi chemin entre le grand angle et le téléobjectif. Comme Jean Henri Fabre, elle aime se rapprocher du sujet, à la feuille d’arbre ou à la tige d’herbe sauvage près ; comme Chateaubriand plongé au cœur de la forêt louisianaise, elle est aussi tentée de s’immerger dans cette immensité florale, botanique, ligneuse, fruitière, sylvestre. Entre sauvagerie végétale et jardin potager, elle n’hésite pas, elle déambule, d’un œil en constante situation d’accommodement.
Une de ses œuvres rend compte de cet état (plus encore que de cette « manière »), c’est en fait une photographie prise par elle-même, soudain surprise de rencontrer incidemment sa propre ombre projetée par un soleil sans concessions sur la surface qu’elle est en train de nourrir de ses visions arboricoles.
La photo nous donne à voir cette ombre inversant l’ordre naturel des choses. Car d’ordinaire, c’est l’ombre de l’arbre qui recouvre le rêveur contemplatif. Là, c’est l’ombre de la rêveuse qui recouvre l’arbre qu’il contemple et auquel il tente prioritairement d’octroyer la parole. La rêveuse, c’est le titre d’un air sublime composé sur la viole de gambe par Marin Marais. Elle est cette rêveuse. Elle couvre, on est tenté de supprimer ce « r » bien inutile, presque parasite, etd’écrire qu’elle couve le paysage, celui-ci étant ramené aux proportions d’un seul arbre.
L’arbre s’est isolé dans le regard de l’artiste. Il a cessé de n’être qu’une simple et anonyme composante du verger ou du bois, pour devenir le héros de cette aventure visuelle et onirique. Chacune de ses feuilles compte et s’offre à conter, à se raconter, elle et sa mémoire de feuille, sa mémoire d’ancien fruit, sa mémoire surgie de rien, de nulle part et de jamais. Ailleurs, on en verra, de ces feuilles, qui essaiment à travers un vallon qui part buter contre le soubresaut d’une arête granitique. Elles ne sont pas de pure figuration ; hallebardières de cette dramaturgie, elles s’emparent, chacune d’elles, de sa part d’autonomie, de son statut de sujet individuel. Charlotte ne se prive du reste pas de les couvrir d’or, ces feuilles qui tombent et tourbillonnent, emportées par le vent.
Ailleurs, l’or s’est converti en fleur de genêt ; il éclabousse la verdure des branches et des feuilles.
Quand il disparaît, c’est pour céder la place, toute la place, à la dentelle d’un feuillage touffu.
Il a plié bagage quand le pinceau de la capricieuse artiste (pareille à une abeille ou à un papillon qui butine au gré des vents, des odeurs, des couleurs et, bien sûr du hasard) s’envole en direction d’un fouillis végétal ou d’un délire de verts cédant aux voluptueuses sollicitations du camaïeu.
Accordant leur indépendance à toutes ces formes et ces couleurs, à ces sèves anarchiques et à ces silences remplis d’échos étouffés, Charlotte Charlot, à son insu, se peint elle-même de l’intérieur, s’effeuillant ici, se gorgeant de sève là, resplendissant au soleil, s’estompant derrière la brume, se faisant plus paysage que le paysage, plus absente que l’absence et plus présente, en même temps, que la présence. S’incarnant dans un effacement magistral autant que pudique.
Elle nous sollicite du côté où nous sommes nous-mêmes, à notre insu, faits de cette même matière qui fait la feuille et la fleur, le fruit et la branche, la tige et la racine, la terre et les étoiles. De la proximité, elle fait un ailleurs à la fois virtuel et concret. Une résidence principale du regard et de l’écoute et du toucher et de l’odorat ; mais aussi de la respiration. On regarde et se développent à leur rythme plénier la diastole et la systole de notre présence à tout cela, qui nous regarde à l’instant même où nous le regardons.
Elle nous fait être ce que nous voyons et, de la sorte, sans cesse davantage, devenir ce nous-mêmes, ce nous seul, anonyme et pourtant unique, qui attend depuis cinq milliards d’années de rejoindre la cellule originelle. De la beauté du monde elle fait notre véhicule, dont le carburant est cet air qu’elle nous fait respirer de tous nos yeux.

Gil Jouanard