
Dans le cadre de l’année du centenaire de Jacques Lacarrière les éditions Jacques Brémont proposent une parution de Borobudur, un texte paru originellement dans la revue Caravanes dirigée par Jean-Pierre Sicre et André Velter en 1997.
L’ouvrage sera présenté au Marché de la Poésie le 21 juin 2025 à 16h30.
Borobudur
» Impossible pour moi de prononcer ce nom sans sentir en moi renaître l’émotion de la première rencontre et celle surtout de la première arrivée au sommet… »
Où j’aimerais revenir
J’aimerais revenir dans le sanctuaire bouddhiste de Borobudur, situé dans le sud de l’île de Java, au cœur de la dense forêt tropicale. Il est composé de quatre étages quadrangulaires et de trois étages circulaires dont les côtés sont ornés de bas-reliefs représentant les vies antérieures du Bouddha. Au sommet, une ultime terrasse porte le grand stupa du Bouddha invisible. Regarder le soleil se lever du haut du monument, c’est regarder chaque matin le monde recommencer, un monde luxuriant, chatoyant et sonore, orchestré par les chants d’oiseaux de la forêt environnante. Ici, il n’y a personne pour vous accueillir, personne pour vous guider. Le lieu vous appartient et c’est à vous – et à vous seul – de savoir et sentir ce que vous êtes venu chercher ici. En ces temps où le rire, la joie, la sérénité sont si rares, Borobudur est une oasis de silence et de contemplation offerte ouverte à tous les visiteurs, une sculpture immense accueillante qui est comme le premier sourire du monde.
» Il y en a qui aiment si fort la terre qu’ils en viennent à ne plus savoir au juste d’où ils sont ; ceux-là rêvent que chacun de leurs pas le long du long chemin les rend fils d’un nouveau coin du monde. Jacques Lacarrière est l’un de ces citoyens au passeport mal défini : une nationalité qui hésite entre le champ ouvert de la steppe et les vents du ciel.
Est-il l’enfant de la Bourgogne, de la Grèce, des chemins poudreux de l’Anatolie ou de l’Orient extrême… peu importe. Aller lui va. Et il nous va qu’il aille ainsi.
Ces marcheurs impénitents qu’on trouve au matin dormant à l’abri des fossés enroulés dans une mauvaise couverture se faisaient hier encore traiter par les bonnes gens de « drôles de pèlerins ». Notre poète acceptera sans façons, veut-on croire, de se savoir ainsi désigné à son tour : Sans doute ne voit-il aucun mal à cela, bien au contraire. Jacques fils de Zébédée, son saint patron, n’est-il pas le protecteur de tous les pèlerins, drôles ou pas ?
Et puis le pèlerinage est en soi une chose suffisamment sérieuse pour qu’il soit besoin d’en rajouter, de se faire en chemin une tête de circonstance. Il est permis de siffler sur la route, de laisser la folle du logis vagabonder elle aussi : cela n’empêchera pas que, parvenu au sanctuaire, vous soit octroyé comme aux autres un peu de la manne céleste. De quoi regarnir sa besace, et aller voir ce qui se passe plus loin.
Les lecteurs de Jacques Lacarrière, ceux qui ont aimé, entre autres livres, Chemin faisant (1974), L’Été grec (1976), Le Pays sous l’écorce (1980), Marie d’Égypte (1983) … et tout récemment La Poussière du monde (1997) où il est grandement question du saint mystère des chemins, ne seront pas trop surpris de retrouver aujourd’hui ce fidèle compagnon à l’autre bout de la terre : non loin de l’équateur, sur la colline de Borobudur, que des générations de pèlerins ont usée de leurs pas et fertilisée de leurs rêves.
(Caravanes) Jean-Pierre Sicre, 1997